Dieu a toujours été fidèle
Originaire du canton du Jura, le frère Yohan Bandelier est au tout début de son parcours de dominicain. L'année dernière, il a fait son noviciat dans notre Ordre à Strasbourg avec son confrère jurassien, le frère Simon Meyer. Après avoir terminé son noviciat, il est arrivé cet automne à Fribourg pour poursuivre ses études de théologie à l'Université. Il est en train de rédiger son travail de Master.
Le frère Yohan a eu la gentillesse de répondre à nos questions dans le but se présenter et parler de son avenir :
La Rédaction : Frère Yohan, bienvenue à Fribourg. Quelles sont tes origines ?
Frère Yohan Bandelier : Je suis né et j'ai grandi dans le canton du Jura. Je sais que je ne suis pas objectif, mais je tiens à le dire : c'est la plus belle région du monde.
Réd. : On n’a pas l'intention de te contredire !
YB : J'y ai passé toute mon enfance et ma scolarité, y compris le lycée.
Réd. : As-tu grandi dans une famille catholique ?
YB : Oui, j'ai été baptisé quand j'étais bébé. Après cela, j'ai toujours eu un contact avec l'Église, même si ces contacts étaient au début assez minces mais réguliers. Nous récitions souvent une petite prière avant d'aller dormir quand j’étais petit, et nous allions à la messe lors des grandes fêtes.
Réd. : Je pense que beaucoup de jeunes catholiques sont formés de cette façon aujourd’hui…
YB : Peut-être. Mais je dois dire que mes grands-parents paternels ont été pour moi les principaux témoins d'une foi vive. Leur fidélité à la messe et leurs engagements ecclésiaux m’ont profondément marqué.
Réd. : On dirait qu'ils t'ont vraiment touché, parce que tu es ici en habit...
YB : Oui, je leur dois beaucoup, mais évidemment d’autres personnes et d’autres étapes marquent mon parcours. Par exemple, lorsque j'avais environ huit ans, on m'a demandé de servir la messe dans ma paroisse. J'ai eu alors un contact plus régulier avec la liturgie. J'ai vraiment aimé servir l'autel. C'est à cette période que j'ai commencé à dire que je voulais devenir prêtre. Je ne me souviens pas quand ce désir est apparu ni pourquoi. Mais ce désir ne m'a jamais quitté, malgré des remises en questions fréquentes. J'aimais lire la Bible, aller à la messe et prier, même si je n'étais pas forcément très assidu.
Réd. : Cela t'a-t-il séparé de tes camarades ?
YB : Non pas vraiment. Dire que je voulais devenir prêtre surprenait mes camarades, et les professeurs, au début. Mais ils se rendaient rapidement compte que je n’étais pas un extraterrestre pour autant. Ils ne comprenaient pas ce désir, un peu particulier c’est vrai. Mais j’étais un enfant comme les autres et ils le constataient rapidement. Une autre étape importante pour moi fut de rencontrer des camarades de classe, au lycée, qui étaient membres d'églises évangéliques libres. Leur foi rejoignait la mienne.
Réd. : As-tu jamais rejoint l'une de ces églises ?
YB : J’ai écrit mon travail de Maturité gymnasiale sur le rôle des groupes de jeunes au sein des communautés chrétiennes. J’ai alors beaucoup côtoyé l’église de mes amis évangéliques car leur groupe de jeunes était l’un de ceux que j’étudiais. J’ai noué des amitiés fortes avec ces jeunes et elles perdurent. Les rencontrer m'a fait prendre conscience de la nature radicale du choix de suivre le Christ. Leur zèle est vraiment édifiant. La prière commune et les discussions que nous avons eues m'ont permis de mieux comprendre ma propre foi. Nos différences ont fait naître chez moi de nombreuses questions et m’a incité à approfondir ma compréhension de ma propre foi.
Réd. : Donc ces amitiés avec des évangéliques t'ont fait grandir en tant que catholique ?
YB : Oui, et grâce à ces amitiés, je dirais que j'ai acquis une meilleure compréhension de ma propre vocation. Elles m’ont affermi dans ma soif de radicalité dans la suite du Christ.
Je pense que nous pouvons faire confiance à Dieu. Tant qu'il y aura plus de chrétiens qu'il n'y eut de disciples au pied de la croix, je crois qu'il y a un avenir.
Réd. : Tu viens de terminer ton noviciat et tu as fait ta première profession dans l’Ordre le 10 septembre dernier. Félicitations !
YB : Merci.
Réd. : Qu'est-ce qui t'a amené dans notre Ordre ? Tu t'en souviens encore ?
YB : (rires) Oui, je m’en souviens encore. Ayant le désir de devenir prêtre, je suis venu étudier la théologie à Fribourg et je suis entré au séminaire pour le diocèse de Bâle, qui est de fait mon diocèse d'origine en tant que Jurassien.
Réd. : As-tu suivi des cours à l'Université ?
YB : Oui. Et c'est pendant ces années à Fribourg que j'ai découvert l'Ordre des frères prêcheurs. J'ai rencontré les frères qui étaient professeurs et d'autres qui étaient étudiants.
Réd. : Je suis surpris que tu sois toujours intéressé après cela.
YB : (rires) Au contraire, ces années d'études m'ont permis de construire ma foi d'une manière cohérente et belle. Moi qui appréciais beaucoup les mathématiques, j’ai découvert que la théologie est une science avec ses raisonnements propres. J'ai alors eu l'occasion de découvrir, d'une manière intellectuelle, la profondeur de l'amour de Dieu pour les hommes.
Réd. : C'est beau, mais tu faisais tout cela en vue de devenir un prêtre diocésain...
YB : Oui c'est vrai. Au fil du temps, j'ai remarqué que la vie d'un frère prêcheur correspondait à ce que je comprenais de ma vocation. La vie de prêtre que j'imaginais était en fait plus proche de la vie dominicaine que de la vie du clergé diocésain.
Réd. : Je vois.
YB : Mais la question de rejoindre l'Ordre ne s'est sérieusement posée qu'après avoir réalisé combien il était important pour moi de vivre en communauté. J'appréciais la vie avec les autres séminaristes dans la maison des séminaires à Givisiez, je voulais continuer à vivre quelque chose de cela. C’est vrai qu’il arrive que quelques prêtres diocésains vivent ensemble, mais leur style de vie n’implique pas la vie communautaire comme un composant essentiel de leur vocation.
Réd. : Je suppose que c'est le cas.
YB : J'ai également eu une année d'étude à Rome en tant que séminariste, ce dont je suis reconnaissant au diocèse de Bâle. C’était une belle expérience qui m’a permis de découvrir Rome et toutes les cultures qui s’y rencontrent. Mais ce besoin de vivre en communauté m'est apparu plus évident à Rome, où la vie communautaire était moins appuyée. C'est à cette époque que j’ai commencé à me renseigner sur le noviciat.
Réd. : Habituellement, cela implique une série de rencontres et de conversations avec différents frères sur une période de plusieurs mois ou années.
YB : Oui, et je suis reconnaissant à nos frères suisses qui m'ont alors accompagné, en particulier le frère Jean-Michel Poffet et le frère Jacques-Benoît Rauscher.
Réd. : Et tu as effectivement été accepté au noviciat en 2021...
YB : Oui, et le noviciat pour les frères suisses a lieu depuis des années à Strasbourg, en collaboration avec les frères de la Province de France.
Réd. : Comment cela s'est-il passé pendant cette année ? Le noviciat peut être très dur...
YB : Cette année de noviciat au couvent de Strasbourg a été l'occasion de me poser une multitude de questions. C'était aussi l'occasion de faire l'expérience de la vie avec les frères, telle qu'elle est concrètement et non pas forcément comme on peut l’imaginer. Et je dois dire que je n'ai pas été déçu. Certaines périodes m'ont paru longues, mais l'année entière m’a semblé passer en un clin d'œil. La découverte de la vie fraternelle a été magnifique. La lecture de la Bible et la prière ont été fructueuses pour moi. Pendant le noviciat, la prière et la découverte de l’Ordre et de son histoire sont privilégiées.
Réd. : Et maintenant, te voilà à Fribourg. J'imagine que tu continues à étudier la théologie, bien que tu aies déjà suivi de nombreux cours quand tu étais séminariste.
YB : C'est exact. Je rédige mon travail de Master ce semestre.
Réd. : Et quel domaine de la théologie préfères-tu ?
YB : Toutes les branches de la théologie sont importantes, mais j’apprécie particulièrement la théologie dogmatique et la patristique. La théologie dogmatique est la discipline qui étudie le contenu de la confession de foi, c'est-à-dire ce que l'Église comprend de Dieu et de son œuvre d'amour pour le monde. Cette étude est fondée sur la Révélation, ce qui signifie qu'elle est intimement liée à l'Écriture Sainte. Elle est liée aussi, fondamentalement, à la vie de foi des fidèles. Elle considère l'évolution de cette foi au cours de l'histoire.
Réd. : Est-ce que la composante historique, le développement des doctrines, est quelque chose qui t'intéresse ?
YB : Beaucoup, oui. Je trouve particulièrement intéressante la réception de la Révélation dans les premiers siècles, donc la période des Pères de l'Église. Ils ont reçu, vécu, approfondi et défendu la foi. Ils étaient des chercheurs de Dieu. Cet intérêt pour la théologie dogmatique et la patristique était déjà évident dans mon choix de thème pour le travail de Bachelor, qui portait sur le tome à Flavien, une lettre de Léon le Grand, évêque de Rome au cinquième siècle, à Flavien, évêque de Constantinople, l'encourageant à défendre la foi en la divinité et l'humanité de Jésus, qui était alors mise en doute.
Réd. : Oui, c'est une controverse célèbre...
YB : Le pape Léon a réussi à faire comprendre que Jésus est vraiment Dieu et vraiment homme. Cette lettre a ensuite été reprise au Concile de Chalcédoine afin de pouvoir exprimer cette réalité.
Réd. : Qu'en est-il de ton travail de Master maintenant ?
YB : Il porte sur la passion du Christ dans la pensée d'Augustin d'Hippone. La question qui motive ce travail est la suivante : « Comment Jésus-Christ nous sauve-t-il en mourant sur la croix ? »
Réd. : Tu as choisi un travail ardu !
YB : Peut-être, mais le thème me passionne. Poser des questions comme « Qui est Dieu ? », « Comment nous sauve-t-il ? », et bien d'autres, me permet de contempler la beauté de Dieu et de son action. Cela nourrit ma prière et me permet aussi de partager la Bonne Nouvelle pour laquelle je veux consacrer ma vie. Je suis sûr que tu connais l'ancienne devise de notre Ordre...
Réd. : Contemplata aliis tradere ? Cela vient de saint Thomas d'Aquin (ST, III, q. 40, a. 1, ad 2)…
YB : « Communiquer à d’autres le fruit de sa contemplation ». Oui.
Réd. : Donc, le couvent St-Hyacinthe où tu es maintenant assigné a un caractère interculturel. Il y a des Américains, un Asiatique, même un Australien... Les frères suisses comme toi sont en fait une minorité.
YB : (rires) C'est vrai, mais nous nous entendons tous très bien.
Réd. : Penses-tu que les frères qui viennent d’autres pays pourraient être intéressés par le chemin que prend l’Église en Suisse ?
YB : Il m’est plus facile de répondre en quoi, moi, en tant que Suisse ou Jurassien, je gagne à la présence de ceux qui viennent d'ailleurs.
Réd. : Que veux-tu dire ?
YB : Eh bien, côtoyer des frères d'ailleurs me permet de sortir d'une certaine « bulle ecclésiale suisse ». C'est très bénéfique. Ces rencontres ouvrent des horizons et renouvellent ma façon d'appréhender la réalité. C'est une question de perspective. Grâce à des frères qui viennent de l'extérieur, parfois de très loin, je réalise que l'important est l'annonce de l'Évangile. C'est universel, et c'est l'essentiel.
Réd. : Tout à fait…
YB : Nous faisons souvent des montagnes avec de petites choses, alors qu'ailleurs, ils déplacent des montagnes avec la foi. Par exemple, lire la thèse de doctorat d'un frère africain sur le rôle d'une pastorale de la miséricorde face aux profondes blessures laissées par les guerres civiles au Congo-Brazzaville m’a beaucoup marqué…
Réd. : L'as-tu aidé à corriger sa thèse ?
YB : Je l'ai plutôt aidé pour la mise en page finale. Mais c'était aussi l'occasion de lire ce qu'il a écrit. Je pense que cela fait partie des avantages de la vie en communauté de pouvoir accéder de façon parfois inattendue à de nouvelles idées et perspectives comme celle-ci.
Réd. : Je vois ce que tu veux dire. Mais l'Afrique est loin d'ici. Revenons à nos Alpes.
YB : (rires) D’accord.
Réd. : Comment vois-tu ton avenir en tant que chrétien dans l'Europe de demain ? Certains voient des nuages à l'horizon...
YB : Je comprends cette appréhension, mais je pense que nous pouvons faire confiance à Dieu. Tant qu'il y aura plus de chrétiens qu'il n'y eut de disciples au pied de la croix, je crois qu'il y a un avenir.
Réd. : C’est bien vu…
YB : J’essaie d’être moi-même chrétien et de partager aux autres cette joie qui me fait vivre. Après, ils sont libres d’en faire ce qu’ils veulent. Je ne me fais donc pas trop de soucis.
Poser des questions comme 'Qui est Dieu ?', 'Comment nous sauve-t-il ?', et bien d'autres, me permet de contempler la beauté de Dieu et de son action.
Réd. : Vois-tu des signes d'espérance ?
YB : L’étude de l’histoire donne une perspective plus large. Je vois notre époque plutôt comme une période de transition. Nous verrons vers quoi elle nous mène. C’est aussi une raison pour laquelle j’apprécie l’histoire de l’Église. Elle nous permet de voir que Dieu a toujours été fidèle, parfois en des temps bien plus catastrophiques que le nôtre.
Réd. : Je suppose que l’histoire est en fait claire sur ce point.
YB : Oui plutôt. Alors, si je devais donner un encouragement aux chrétiens aujourd'hui, et surtout aux jeunes, je dirais simplement : faisons de notre mieux pour être des témoins fidèles de l'Évangile, en paroles et en actes, et Dieu fera ce qu'il veut de nous. Je sais que l'inconnu peut faire peur. Mais je trouve que c’est surtout un défi motivant.
Réd. : D'une certaine manière, tu revis les expériences des chrétiens de l'antiquité...
YB : D'une certaine façon, oui, on peut faire des parallèles. Il y aura probablement des difficultés. Rien de neuf sous le soleil. Surtout, nous devrons certainement renoncer à de nombreux conforts. Mais quelle aventure !
Réd. : Merci, frère Yohan, de nous avoir parlé. Et bonne chance pour ton travail de Master !
YB : C'était un plaisir pour moi. Merci.

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