Interview du frère Łukasz Wiśniewski
Notre frère Łukasz Wiśniewski a soutenu avec succès sa thèse de doctorat jeudi dernier (24 octobre 2019).
Nous avons voulu approfondir notre appréciation du sujet de sa thèse, son évolution et ses implications.
Beaucoup d'entre nous écrivent leurs propres thèses ou espèrent le faire un jour. Nous nous demandions ce que nous pouvions apprendre de l'expérience du fr. Łukasz. Nous avions aussi quelques questions personnelles...
Nous vous présentons ici le résultat de cet entretien franc et personnel :
Tu viens de la Province de Pologne, dans laquelle tu es entré au noviciat en 2003 et tu y as fait ta profession solennelle en tant que dominicain en 2009. Quand es-tu venu à Fribourg ?
Frère Łukasz Wiśniewski : Après l’ordination presbytérale que j'ai reçue en 2011, j’ai travaillé pendant deux ans dans la maison d’édition de notre province, en étant en même temps aumônier d’étudiants. Après cette période de travail majoritairement pastoral, je suis arrivé à Fribourg. C’était en automne 2013. Dès mon arrivée, j’ai commencé à travailler sur la licence canonique. Dès que la licence fut terminée, je me suis mis au doctorat.
Pourquoi avoir choisi Fribourg ?
LW : La raison principale pour laquelle j’ai choisi Fribourg est la théologie dans la tradition dominicaine qui est enseignée ici. En plus, Fribourg garantit aussi pour les frères dominicains un cadre approprié pour les études, libre d’autres obligations, comme par exemple des charges pastorales. Cela permet de se concentrer presque uniquement sur le travail académique.
J’ai travaillé avec le fr. Benoît-Dominique de La Soujeole o.p., spécialiste en ecclésiologie et en théologie des sacrements.
Connaissais-tu le travail de ce professeur avant de venir ici ?
LW : Avant de venir à Fribourg, je le connaissais uniquement de nom par ses écrits. A mon arrivée, il a accepté de diriger ma thèse et durant mes années d’études, il m’a très généreusement consacré beaucoup de temps. Il m’a offert aussi d’innombrables conseils et des directions à suivre. De plus, il reste pour moi un vrai exemple de travail intellectuel et de vie dominicaine. J’ai vraiment eu de la chance de pouvoir de travailler avec lui.
Le sujet de ta thèse était-il déjà établi lorsque tu es venu ?
LW : Le sujet n’a pas été établi au moment de mon arrivée à Fribourg. J’avais quelques vagues idées sur lesquelles je pourrais éventuellement écrire mon doctorat, mais rien de vraiment précis. Au fur et à mesure de mon travail et de mes lectures, les idées se clarifiaient jusqu’à arriver au sujet qui est devenu l’objet de mes recherches en doctorat.
Quel est le sujet de ta thèse ?
LW : Le titre de la thèse est le suivant : « L’instinct ecclésial de la foi (Lumen Gentium 12, Dei Verbum 8) ». Il traite du sens de la foi, c’est-à-dire d’un instinct, d’un « flair » que les fidèles portent en ce qui concerne les choses de Dieu.
Le sens de la foi (sensus fidei) est une caractéristique de la foi elle-même et il permet aux fidèles de reconnaître de manière intuitive ce qui est révélé par Dieu et de s’opposer à ce qui est contraire à la Révélation. Il est proportionné à la croissance de la foi. Alors, plus quelqu’un est saint, plus il reconnaît ce qui vient de Dieu et son contraire.
Bien sûr, nous savons que la science et l'étude sont précieuses pour elles-mêmes, mais penses-tu que ton travail pourrait avoir des résonances dans le contexte plus large des discussions en cours dans l'Église aujourd'hui ?
LW : Je trouve que le sujet de ma thèse est d’une certaine actualité dans l’Église d’aujourd’hui. Par exemple, le pape François a récemment proposé une compréhension de l’Église à partir de la notion de synodalité qui inclut en soi une écoute réciproque du pape, du collège des évêques et des fidèles. La base de cette compréhension est l’écoute du sensus fidei du Peuple de Dieu. Il faut voir précisément ce qu’est le sensus fidei et comment il s’exprime pour pouvoir l’écouter.
Pourtant, je trouve qu’il y a aujourd’hui des malentendus quant à la compréhension du sens de la foi. Il est assez souvent confondu avec l’opinion publique (doxa) dans l’Église (majoritaire ou minoritaire), alors que ce n’est pas cela.
C’est pourquoi je trouve qu’une étude sur le sens de la foi est urgente de nos jours.
Tu es né en 1984. Que représente saint Thomas pour quelqu'un de ta génération ? Il semble contre-intuitif qu'un théologien d'il y a huit siècles puisse intéresser un jeune chercheur du 21ème siècle...
LW : Oui, mon travail est écrit dans la tradition théologique dominicaine dont le père est saint Thomas d’Aquin. J’appuie mes recherches principalement sur le texte de saint Thomas et sur les textes de ses disciples intellectuels qui ont développé sa pensée.
Pourquoi j’ai choisi cette école théologique pour mon travail ? D’abord, parce qu’elle est mon héritage en tant que dominicain. Il m’a semblé naturel de connaître davantage et de faire mes études dans cette école. De plus, je suis convaincu que la pensée thomiste peut apporter une contribution créative et éclairante dans les débats théologiques contemporains.
Qui plus est, saint Thomas était un maître de précision. Travailler à son école fournit de précieux outils intellectuels permettant de traiter diverses questions de foi avec précision.
Tu es prêtre et membre de l'Ordre des Prêcheurs. En cela, tu es différent de beaucoup d'autres chercheurs...
LW : Je trouve qu’à la différence d’autres domaines intellectuels, la théologie n’est pas un travail ou une profession comme les autres. La théologie est ma vie, car j’étudie ce que je vis en tant que chrétien. Ainsi, elle est d’abord une compréhension de plus en plus approfondie de ce que je vis moi-même. Ensuite, j’étudie la théologie pour transmettre la foi de mieux en mieux. Cette idée me tient particulièrement à cœur – la transmission de la foi. Comprendre la foi pour pouvoir la transmettre. C’est pourquoi l’étude de la théologie se trouve au cœur de la vocation des Frères Prêcheurs.
Que comptes-tu faire (ou quels sont les projets de tes supérieurs) dans les mois et années qui suivront ton séjour ici à Fribourg ?
LW : Mon avenir proche se présente de manière assez concrète. Jusqu’à la fin de ce semestre je reste à Fribourg, car je suis encore engagé comme assistant du fr. Benoît-Dominique de La Soujeole.
Après, je retournerai en Pologne, plus particulièrement à Cracovie, où me sera confiée la tâche d’enseigner les frères en formation dans le Studium de notre Province. J’attends avec impatience le début de mon enseignement. Nous verrons alors si j’ai suffisamment de talents pour cela.
Qu'est-ce qui va te manquer de Fribourg ?
LW : À part les meringues à la double crème, je suis sûr que le cadre studieux informel de notre couvent va me manquer. Je me réfère aux questions théologiques soulevées quotidiennement à table, aux conversations théologiques informelles, etc. C’est un grand avantage de notre communauté que la simplicité de la vie quotidienne est partagée entre les professeurs de l’Université et les frères débutants en théologie. On apprend non seulement dans une salle de cours, mais aussi en préparant la table pour le repas du soir.
Merci, Frère.
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