À Fribourg, une initiative novatrice pour le chant grégorien dominicain
Il y a un mois, les frères étudiants Stefan et Alexandre ont eu l'idée de créer une chaîne YouTube dédiée au chant grégorien dominicain.
Ils désirent promouvoir cette tradition musicale dominicaine en mettant des enregistrements vidéo à disposition de tous les utilisateurs d'internet.
Les vidéos peuvent être utilisées comme une sorte de bibliothèque musicale (de manière similaire au GradualeProject, aussi sur YouTube) pour ceux qui souhaitent apprendre le chant grégorien dominicain, mais elles sont également destinées à être consultées par tous ceux qui apprécient le chant sacré.
Stefan et Alexandre ont accepté de rencontrer la rédaction pour nous en dire un peu plus sur ce nouveau projet qui n’a pour l’instant pas son pareil dans l’Ordre.
Frère Alexandre et frère Stefan, bienvenus.
Quel est ce projet que vous avez entrepris ? Pourquoi mettre en ligne des vidéos de chant grégorien ?
Frère Alexandre Frezzato : Nous publions ces vidéos de chants tout d'abord comme moyen d'instruction. YouTube, la plateforme vidéo, qui est l'un des sites les plus visités sur le Web, est particulièrement adapté pour ce type d’initiative. Donc l’objectif premier est vraiment de fournir des enregistrements pour nos frères, en Suisse et ailleurs.
Frère Stefan Ansinger : Cette idée nous est venue car il existe très peu de ressources systématiques pour le chant grégorien de notre tradition dominicaine. Vous pourrez trouver quelques vidéos publiées par les frères de la province de France, les frères américains ou encore les frères anglais. Mais à notre connaissance, il n’y a pas de lieu sur internet où l’on peut trouver un répertoire systématique des chants grégoriens dominicains. C’est pourquoi nous avons décidé de nous lancer dans ce projet. Nos vidéos sont artisanales. Nous faisons tout nous-mêmes, sans équipe, du déchiffrage des pièces jusqu’à la mise en ligne des vidéos.
Mais tout le monde ne sait pas ce qu'est le chant grégorien. Pouvez-vous l'expliquer brièvement ?
AF : Et bien, en résumé, le chant grégorien est le chant sacré de l’Église catholique romaine. C’est une forme de chant non-polyphonique traditionnellement chanté a cappella en latin (et parfois en grec). Le chant grégorien s'est développé principalement en Europe occidentale et centrale au cours des 9ème et 10ème siècles. La légende populaire attribue au pape Grégoire Ier l’invention du chant grégorien, mais les érudits pensent qu’il est issu d’une synthèse carolingienne ultérieure du chant romain et du chant gallican. Le chant grégorien était traditionnellement chanté par les chœurs et surtout par les moines et religieux dans leurs liturgies.
C'est très bien, mais vous parlez de chant grégorien « dominicain ». Y a-t-il vraiment une différence entre le chant que nous chantons dans notre Ordre et le chant que vous pourriez entendre ailleurs ?
SA : En un mot, la réponse est « oui ». L'Ordre des Prêcheurs, notre Ordre Dominicain, possède une vénérable tradition de chant qui remonte au 13ème siècle. Elle s’est développée dans la ligne des réflexions liées à la liturgie qui sont exprimées dans les Constitutions primitives de l’Ordre (à partir de l'an 1228).
Ces Constitutions soulignaient que la liturgie devait être accomplie avec une attention particulière à la posture corporelle, avec une concision et une brièveté (breviter et succincte) qui laissent du temps pour l’étude et la prédication. Là encore, nous voyons que la tradition liturgique dominicaine fut élaborée en harmonie avec le propos de notre Ordre, de manière très réaliste…
Au début du 13ème siècle, les disciples de saint Dominique commencèrent peu à peu à constituer un répertoire de chants liturgiques qui fut ensuite standardisé au milieu du 13ème siècle et qui n’a cessé de se développer et de s’étendre au cours des huit siècles d'existence de l'Ordre. Ces chants dominicains partagent souvent leurs textes avec le rite romain plus large mais comportent souvent des variations mélodiques.
Après le développement initial du répertoire, le chant dominicain a connu des périodes de déclin et de renouveau, mais au cours des huit derniers siècles, le chant de l’Ordre des Prêcheurs a joué un rôle important dans la préservation de l'identité dominicaine au sein de l’Ordre.
Dans certaines communautés, il semble que le chant grégorien soit très rarement utilisé. Et certains frères semblent même inconscients de l'existence de cet héritage.
AF : Je pense que ce manque de présence de notre tradition musicale sur internet est le reflet de ce qui se passe dans nos communautés. D’une certaine façon, par ce projet, nous comblerons un fossé entre les générations. Nos frères aînés connaissent bien cette tradition musicale grégorienne, mais ils ne sont généralement pas aussi familiers que nous avec les nouveaux médias disponibles sur le net. Nous enregistrons donc ces chants non seulement pour préserver et retrouver notre patrimoine dominicain – que nous, jeunes frères, nous découvrons à vrai dire – mais aussi pour les diffuser auprès de ceux qui ignorent l’existence de cet héritage, y compris les communautés dominicaines où la chaîne de transmission a pu être complètement interrompue.
Mais qu'est-ce qui vous attire dans cet héritage pour vous inciter à faire tout le travail de mise en lumière de cette nouvelle chaîne YouTube ?
SA : Tout simplement, nous sommes dominicains. Et nous sommes conscients de notre histoire et de notre patrimoine. Nous voulons l’explorer.
AF : En fait, je pense que nous, dominicains, ne sommes pas suffisamment conscients de la richesse de notre patrimoine choral… dans l’Ordre nous possédons la totalité du répertoire choral grégorien en propre, comme les bénédictins, les cisterciens ou encore les chartreux. Il y a très peu d’ordres qui bénéficient d’une telle richesse musicale.
SA : Et il y a des changements mélodiques, ou des différences dans la façon dont les notes sont présentées, qui parlent en effet du charisme de l'Ordre. Par exemple, les pièces grégoriennes dominicaines sont souvent plus sobres que les pièces romaines. Elles sont beaucoup plus simples et plus épurées que les pièces cisterciennes, qui sont plus anciennes que les nôtres et dont les dominicains se sont beaucoup inspirés.
Un exemple simple pour illustrer la sobriété de cette tradition dominicaine est de comparer les premières notes du Salve Regina dans la tradition dominicaine et dans la tradition cistercienne. L'une est plus directe et l'autre plus élaborée ou ornée.
Que signifie, dans les Constitutions primitives (quatrième chapitre de la première distinction), l’affirmation selon laquelle nos prières doivent être brèves et succinctes (breviter et succincte) ?
SA : Attention ! Breviter et succincte ne signifie pas sans attention ni finesse, mais avec un certain dynamisme. Le chant liturgique reflète la nécessité de prier relativement vite pour que les frères puissent étudier et sortir du couvent pour prêcher et enseigner, d'une manière que les communautés monastiques plus traditionnelles, par exemple, ne font pas, car leur charisme ne se situe simplement pas à cet endroit.
Pour ceux qui sont habitués au chant grégorien, ils seront peut-être surpris par la rapidité d’exécution du chant. Mais notre démarche est réfléchie et consciente.
AF : Le style dynamique ne diminue pas non plus l'impact spirituel des textes que nous chantons. En fait, je trouve que cela les met en relief. Il faut savoir que, quand nous étudions de manière très précise les pièces grégoriennes que nous apprenons, nous lisons en fait les Saintes Écritures. Les grandes pièces pour les grands temps liturgiques sont soit des textes issus directement de la bible, soit des méditations sur la Révélation. On peut y voir une forme de lectio divina.
Cette musique est très ancienne en effet, et pour beaucoup de gens je pense que « vieux » veut dire sans intérêt. Quelle est l'utilité de ce projet auquel vous consacrez tant d'énergie et de temps ?
SA : Franchement, nous pensons que cela peut être utile au niveau de l'Ordre tout entier. Il faut se rappeler qu'internet est global et instantané. La portée de ce que nous faisons ici à Fribourg est énorme. La chaîne n'est en place que depuis un mois, et nous avons déjà eu des échos de pays aussi divers et variés que la France, les Pays-Bas, l’Angleterre, la Croatie, la Lituanie, le Danemark, l’Irlande et la Roumanie où ces vidéos sont écoutées et appréciées.
AF : Il y a une dimension apostolique claire dans cette initiative. Ne soyons pas dupes : voir deux jeunes frères chanter du grégorien dans de belles églises est certainement une vitrine idéale pour l’Ordre. Mais plus sérieusement, l’esthétique liturgique possède déjà un élément apostolique en tant que tel. C’est pourquoi nous allons dans de belles églises de communautés monastiques dominicaines ou d’autres sanctuaires d’autres ordres monastiques. Donc non seulement nous diffusons de la musique, mais nous essayons d’y joindre de belles images de notre patrimoine architectural pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu.
Mais où précisément avez-vous filmé ces vidéos ?
SA : En fait, chacun peut trouver le lieu de l’enregistrement dans la description de chaque vidéo postée en ligne. Plusieurs communautés de moniales ont été extrêmement gentilles et accueillantes : nous avons filmé plusieurs extraits à Chalais, près de Grenoble, ou il y a nos sœurs moniales dominicaines, puis nous avons aussi filmé dans l’église de nos sœurs à Estavayer. Dans quelque temps, c’est chez les sœurs cisterciennes de l’abbaye de la Maigrauge, dans leur magnifique église romane ici à Fribourg, que nous tournerons quelques vidéos.
Je suppose que vous êtes en train de renforcer nos liens avec ces communautés aussi, même en demandant simplement la permission d’y faire vos vidéos…
Quelle est votre méthode de travail ? Je vois de grands folios sur les photos.
AF : En effet, nous travaillons d'une manière qui rappelle les méthodes anciennes.
À l'époque, chaque frère ne tenait pas un livre de chant dans sa main. Les frères chantaient et priaient à partir de grands psautiers communs. En fait, chanter à partir d'une même partition de musique nous aide à fusionner nos voix de façon harmonieuse.
SA : En pratique, nous imprimons de grandes feuilles au format A3. Et nous chantons depuis une seule feuille, comme les anciens antiphonaires, ce qui nous permet de chanter ensemble.
De fait, on l’entend dans vos vidéos !
AF : Merci. N'oubliez pas d'encourager les lecteurs de notre site à visiter la chaîne YouTube. Tout est fait pour rendre cette musique accessible même à ceux qui ne l'ont jamais vraiment étudiée.
SA : Abonnez-vous à la chaîne car chaque semaine il y aura une nouvelle vidéo. Et n'oubliez pas de cliquer sur la cloche pour recevoir des notifications lorsqu'une nouvelle vidéo est sortie.
Pourquoi vaut-il la peine d'être abonné ou d'avoir des rappels ?
SA : Et bien, parce que les vidéos sortent chaque semaine et qu'elles suivent l’année liturgique.
AF : Ces vidéos sont synchronisées avec le temps de l’année afin que les communautés puissent apprendre les pièces en contexte. Par exemple, les fameuses antiennes « Ô » pour la semaine préparatoire à Noël seront mises en ligne à temps durant l'Avent. Le « Ad te levavi », chant d’entrée pour le premier dimanche de l'Avent, sera mis en ligne aujourd'hui.
SA : La partition de chaque pièce que nous faisons est fournie en lien dans la description sous chaque nouvelle vidéo.
AF : Et si quelqu'un a des questions, il suffit de nous contacter par e-mail à contactopchant@gmail.com. Cette adresse figure également dans la description de chaque vidéo.
Donc je vois que vous avez pensé à tout. Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bonne réussite. J'espère que vous nous tiendrez au courant de la suite de ce projet unique.
AF : C'est promis.
SA : Nous le ferons.
Merci, les frères.
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