Trois hommes en quête de la lumière

L'homélie du frère Philippe-Emmanuel Rausis pour la solennité de l'Épiphanie

Is 60,1-6 / Ps 71 / Ep 3,2-6 / Mt 2,1-12

La fête de l'Épiphanie est celle de l'universalité du christianisme. C'est le jour où nous rappelons que Jésus est venu pour tous les hommes et qu'il a manifesté sa gloire aux yeux de tous. Il l'a fait dès les premiers jours de son existence, en révélant quelque chose de son Mystère aux Mages venus d'Orient. Ce mystère est celui qui est évoqué par saint Paul, dans cette Épître aux Éphésiens que nous venons d'entendre : « Dieu m'a fait connaître le “Mystère” qui n'avait pas été porté à la connaissance des hommes. Et ce mystère, c'est que toutes les nations sont associées au même héritage » (Ep 3,6). L'enfant Dieu vient apporter le salut à tous les hommes, même s'ils appartiennent à d'autres peuples, à d'autres cultures, s'ils professent d'autres opinions ou pratiquent d'autres religions.

À ces pèlerins venus de loin, saint Matthieu leur donne le nom de mages ; on pense qu'il s'agissait de prêtres appartenant au Mazdéisme, c'est-à-dire à la religion des Perses. En effet, chez eux les prêtres étaient investis de multiples fonctions : enseignants, astrologues, prophètes et même mages. On leur donnait ce titre qui vient du persan mag et se traduit « science » ou « sagesse ». Imaginons ce que signifie, pour ces trois personnages – à la fois rois, prêtres et prophètes –, au terme d'une longue quête, de se retrouver en présence d'un nourrisson et de reconnaître en lui le Roi de l'univers… Un enfant qui n'est pas de chez eux, qui ne parle pas leur langue, qui n'appartient pas à leur culture, ni même à leur religion. C'est une prophétie de ce que va devenir le christianisme, par son rayonnement sur tous les âges et toutes les régions de la terre.

Universel, le christianisme l'est, aujourd'hui, plus que n'importe quelle autre religion, puisqu'il s'est répandu dans le monde entier, a touché le cœur des hommes de tous les temps et a été embrassé par tous les peuples de la terre. Il n'y a pas une seule langue dans laquelle l'Évangile n'ait pas été traduit et le christianisme est encore, aujourd'hui, la religion la plus nombreuse avec ses 2,4 milliards de fidèles, suivi par l'islam qui compte 1,7 milliard d'adeptes. En réalité, si les mages sont des hommes en quête de Dieu, alors ils sont des millions à chercher la lumière et, peut-être sans le savoir, à diriger leurs pas vers elle. À titre d'exemple, je voudrais vous raconter une rencontre que j'ai eue, il y a quelques années, au cours d'un symposium organisé pour protester contre la présence des Chinois au Tibet. Vous savez que la Chine a envahi ce pays en 1950. L'homme en face de qui je me suis retrouvé à table était un moine bouddhiste tibétain. On l'appelait Geishe. Il s'agissait d'un saint homme. Au moment où il a fui son pays, en compagnie du jeune Dalaï Lama, les soldats chinois lui ont mis un pistolet dans les mains et l'ont forcé à tirer une balle dans la tête de son père et de sa mère. Or, de toute la soirée, je ne l'ai pas entendu proférer une seule parole dure envers les Chinois.

Dans la conversation que nous avons eue, il m'a dit la chose suivante : « Vous savez, lorsque je lis les enseignements de Jésus – et je le fais souvent –, je suis frappé par la vérité qui sort de sa bouche. Ce sont de véritables pépites d'or ! Vraiment, je crois que, dans toute l'histoire des religions, il n'y a rien d'aussi beau que les enseignements de celui que vous nommez le Christ. » Et puis, en nous regardant avec une immense tendresse, il a ajouté : «Pourtant, je ne comprends pas pourquoi autant de chrétiens sont si peu en harmonie avec ces enseignements… Croyez-moi, si les chrétiens vivaient ce qui est dit dans les Évangiles, je suis sûr que le monde entier se convertirait du jour au lendemain.»

Vous vous rendez compte de ce que dit cet homme-là ? Et il ne s'agit pas d'un téléprédicateur américain, il s'agit de l'une des personnalités les plus importantes du bouddhisme tibétain. Mes frères, je pense que cet homme, qui, lui aussi venait d'Orient, est un véritable roi mage. Lui aussi s'incline silencieusement devant celui qui vient de Dieu et en reconnaît toute la grandeur, toute la majesté. L'Évangile de Matthieu ne précise pas le nombre des mages… C'est peut-être parce qu'ils sont innombrables. Ils viennent de tous les horizons, ils sont d'une autre race, ils appartiennent à d'autres religions, mais quelque chose les attire vers ce Jésus qui a changé le cours de l'histoire humaine comme personne d'autre avant lui.

Et puis, je voudrais relater une deuxième rencontre. Celle d'un médecin français qui se nommait Michel. Il avait passé presque quarante ans de sa vie à travailler pour l'organisation de Médecins sans Frontières. Il se disait sans religion, ce qui, de nos jours, est assez courant. Et voici ce qu'il nous a confié : «J'ai travaillé durant toutes ces années dans des dispensaires de brousse, en Afrique, mais aussi en Asie et en Amérique Latine. Je dois vous dire que j'y ai rencontré des centaines de chrétiens qui offraient leur temps pour venir en aide aux plus démunis. Ils le faisaient généralement de manière anonyme, sans faire étalage de leurs convictions. Par contre – ajouta-t-il –, dans tous ces endroits où j'ai travaillé, je n'ai jamais rencontré un seul militant communiste.» Eh bien, lui aussi, à mes yeux, est l'un de ces rois mages auxquels nous rendons hommage aujourd'hui. Il s'inclinait aussi – à sa manière – devant celui qui a suscité dans le cœur de tant d'hommes et de femmes un amour du prochain qui les pousse à abandonner leur pays et à travailler, loin de chez eux, pour que le Royaume de Dieu soit un peu plus présent.

Et puis, bien sûr, il ne pouvait pas manquer un troisième roi mage à notre galerie de portraits. Celui-ci se nomme Benjamin. Je l'ai connu à Jérusalem et nous sommes devenus amis. Il appartient à un mouvement qui prend toujours plus d'ampleur en Israël et qui se nomme l'Assemblée des Juifs messianiques. Ce sont des fils d'Abraham, nés dans la religion judaïque, mais qui reconnaissent en Jésus le Messie attendu par le peuple élu. Ils restent fidèles à leur religion, à leur histoire, à leur élection, mais ils prient et ils aiment le Christ en qui ils reconnaissent l'Envoyé de Dieu. Un jour, nous étions au Mur des Lamentations, à Jérusalem, là où les Juifs se rendent pour prier : ils se tiennent debout, la face contre ce qu'il reste du dernier mur du Temple, et ils récitent leurs prières en se balçant. Benjamin – qui se rend au Mur tous les vendredis soir pour l'ouverture du shabbat – me dit alors, en les observant : «Regarde, on a l'impression qu'ils cherchent une porte. C'est qu'ils n'ont pas encore entendu la voix du Christ qui leur dit : “Moi, je suis la porte”.»

Voilà mes trois rois mages : Geishe, Michel et Benjamin. Eux aussi apportent l'or, l'encens et la myrrhe. L'or est entre les mains de Geishe, lorsqu'il parle de ces pépites d'or qu'il trouve dans les enseignements de Jésus. Il les collectionne depuis longtemps, chaque fois qu'il se met à parcourir les Évangiles. Ce sont elles qu'il dépose aux pieds de l'enfant-roi. L'encens, je le vois entre les mains de Michel. C'est la bonne odeur des actions accomplies au nom de l'amour par tous ceux et toutes celles qui consacrent leur vie aux autres, qu'ils soient chrétiens ou non. Cet encens monte vers Dieu comme une offrande d'agréable odeur. La myrrhe reviendrait donc à Benjamin. C'est le parfum que les Juifs utilisaient pour embaumer les morts, avant de refermer sur eux ces tombeaux que le Christ est venu ouvrir, à l'heure de la Résurrection.

J'ai souri, en constatant que les premières lettres de leurs prénoms sont les mêmes que celles des rois mages : G.M.B. : Geishe, Michel et Benjamin, mais aussi Gaspard, Melchior et Balthasar. En Allemagne, ces trois lettres sont tracées, avec une craie bénie, sur le linteau des portes des maisons, afin d'invoquer la bénédiction de ces trois grands saints, dont on vénère les reliques en la cathédrale de Cologne. Comme eux, Geishe, Michel et Benjamin viennent de loin. Comme eux – et chacun à sa manière –, ils sont venus s'incliner devant la crèche, en même temps que nous et qu'une multitude d'hommes, de femmes et d'enfants. Tous sont les bienvenus ! Avec leur différence, leur manière de parler de Dieu ou de ne pas en parler. Et nous leur crions : « Venez, approchez-vous, adorons le Seigneur. » Entrez dans ses parvis : vous êtes ici chez vous. Dieu est venu pour chacun. Vous aussi, vous êtes tombés amoureux de ce petit enfant qui vous tend ses bras, de son sourire conquérant et de son regard qui pénètre jusqu'au fond de l'âme. Et vous l'aimez, vous aussi, car vous avez reconnu, en lui, le visage universel de l'espérance humaine.

L'adoration des rois, par Józef Mehoffer, à la cathédrale de Fribourg (photo © frère Philippe-Emmanuel Rausis)

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