Trésors enfouis

Dans les profondeurs du sol fribourgeois, nos frères découvrent la collection de livres des Capucins

Le jeudi 10 juin, les frères Adrian Schenker, Guido Vergauwen et Anton Milh ont eu droit à une visite guidée d'une exposition unique en son genre. Ils se sont rendus dans les caves séculaires du Couvent des Cordeliers à Fribourg pour voir des livres rares et anciens pendant les quelques semaines où cela était possible.

Nous invitons nos lecteurs à nous y accompagner, mais d'abord un peu d'histoire :

La ville de Fribourg est également connue sous le nom de la « petite Rome ». Si vous empruntez la route des Alpes jusqu'à la vieille ville, un panorama de la vallée de la Sarine s’offre à vous sur votre droite : en contrebas les cisterciennes de la Maigrauge, cent mètres plus loin les capucines de Montorge, cent mètres plus loin encore la chapelle de Lorette et, juste après la crête, la chapelle de pèlerinage de Notre-Dame de Bourguillon. La basse et la haute ville sont dominées par des tours d’église.

 

En 1609, un groupe de Capucins s'est établi à la Porte de Morat, juste à l'intérieur des murs de la ville. Ils venaient de Savoie, contrairement à la majorité des Capucins en Suisse qui, encouragés par saint Charles Borromée, venaient d'Italie et, via le canton du Tessin, s’installaient principalement dans les régions italophones et germanophones (par exemple à Lugano, Lucerne et Altdorf).

Relativement épargnés par la Révolution française, les Capucins suisses se sont développés aux XIXe et XXe siècles pour devenir la plus grande entité de leur ordre. Ils fournissent des soins pastoraux à toutes les classes sociales et sont impliqués dans toutes sortes d'œuvres. Un de leurs fils les plus connus est Bernard Christen d'Andermatt, le ministre général qui, par son attention à l'étude et à la mission, a préparé l’ordre pour le XXe siècle.

Cependant, la crise des vocations a également contraint les Capucins suisses à se détacher de plusieurs de leurs implantations. Le couvent de Bulle, à une trentaine de kilomètres de Fribourg, a fermé ses portes en 2004. Cette fermeture a été l'occasion de transférer la bibliothèque de ce couvent, ainsi que celles des couvents de Fribourg et de Romont – au total quelque 31.000 volumes – à la Bibliothèque Cantonale et Universitaire de Fribourg.

Pendant une quinzaine d'années, la collection n'a pas été étudiée dans son intégralité jusqu'à ce que la Faculté des Arts prenne l'initiative de l'examiner avec un groupe d'étudiants.

Le résultat de cette recherche est l'exposition Territoires de la mémoire. La bibliothèque des Capucins fribourgeois, organisée du 19 mai au 12 juin dans les caves restaurées du Couvent des Cordeliers de Fribourg.

Le jeudi 10 juin, les frères Adrian, Guido et Anton ont bénéficié d'une visite guidée. L'exposition était initialement prévue pour l'automne 2020, mais l'épidémie de corona a jeté un pavé dans la mare. Cependant, chaque inconvénient possède son avantage : les mois d'attente de la fin des mesures sanitaires restrictives ont été mis à profit pour constituer un très beau catalogue.

L'exposition se compose de trois parties. La première partie montre comment, jusqu'à une bonne partie du XVIIe siècle, les livres d'une bibliothèque conventuelle servaient principalement à transmettre les connaissances acquises dans le passé. Sous le titre La mémoire déployée, nous rencontrons ainsi une série de livres qui visent à fournir une synthèse du monde sous l’un ou l’autre aspect : historique (La Mer des histoires, un Spiegel historiael français du XVe siècle), biologique (Der Welt Tummel- und Schauplatz, 1613) mais aussi économique (La piazza universale di tutte le professioni del mondo, 1589).

Ce genre de sommes a dû être très utile pour la préparation de la prédication. Par ailleurs, une grande partie de la collection – à laquelle cette exposition ne pouvait consacrer plus d'attention – est constituée de collections de sermons. Dans la vitrine La mémoire relayée, nous trouvons une anthologie érasmienne de la littérature ancienne (1533), ainsi que plusieurs manuels de rhétorique (sacrée), la plupart à des fins éducatives.

Il est frappant de constater à quel point les Capucins ont été influencés par cet autre grand ordre de la réforme catholique, la Compagnie de Jésus. Ils utilisaient ainsi « l'Alvarez » et « le Suarez », des manuels de grammaire et de rhétorique qui portent le nom des jésuites qui les ont compilés.

La mémoire illustrée comprend quelques œuvres avec gravures et emblèmes, représentant des thèmes antiques, bibliques, moraux généraux ou spirituels. Un petit livre frappant est titré Pia Desideria (1661) de Hermann Hugo, qui représente en mots et en images le dialogue de l'amour divin (Amor divinus) avec l'âme humaine (anima). Il a dû être un véritable best-seller, car la collection des Capucins n’en contient pas moins de quatre exemplaires.

Dans la section La mémoire exemplaire, nous trouvons, outre des vies de saints, La Tradition de l'Église sur le sujet de la pénitence et de la communion (1653) d'Antoine Arnauld, un janséniste bien connu. À propos de cette œuvre, le poète capucin Martial de Brives a déclaré que la tentative d'Arnauld de revenir à la simplicité de l'Église primitive n'a fait que rendre les choses plus complexes.

La deuxième partie de l'exposition montre comment, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les connaissances traditionnellement transmises ont été de plus en plus critiquées, pour des raisons tant scientifiques que politiques. Une réponse capucine à cet esprit des Lumières est La Géographie sacrée et les monuments de l'histoire sainte (2e éd. 1784) de Joseph-Romain Joly de Paris. À l'aide de cartes et de dessins, il a voulu montrer que les noms de lieux mentionnés dans la Bible ne sont pas arbitraires, mais correspondent à une réalité sur le terrain. Les Capucins se joignent parfois à la critique, comme en témoigne la possession de trois exemplaires de l'Histoire des Indes de Guillaume-Thomas Raynal.

Ce réquisitoire cinglant contre les mauvais traitements et l'exploitation des populations indigènes d'Amérique par les colons était pourtant à l'index. Une armoire séparée est consacrée à la vaste collection médicale des Capucins. Un livret remarquable de cette collection est l'Avis au peuple sur sa santé (1770) de Samuel Tissot. Tissot, médecin des pauvres à Lausanne, a compilé un grand nombre de conseils pratiques pour améliorer la santé de la population. Il a également pris fermement position contre tous les « guérisseurs » alternatifs.

L'exposition se termine par une section consacrée au XIXe siècle. Il est frappant de constater que les Capucins suisses ont suivi de près le mouvement romantique des particularistes linguistiques. L'attention est également portée sur la manière dont les catholiques ont traité l'imprimé, ce média de masse incontrôlable.

À titre d’exemple, Les Mauvais Livres, les mauvais journaux et les romans (1844) du jésuite belge Jean-Baptiste Boone est présenté. Cette brochure, complément et explication de l'index des livres interdits, a été réimprimée plusieurs fois en Belgique, mais à l'extérieur de la Belgique, seulement à Fribourg, qui dans un pays en partie protestant voulait ainsi affirmer son identité catholique.

Une bibliothèque conventuelle n'est donc pas seulement une collection de livres, mais par le biais de la sélection – ce qui n'est pas conservé, ce qui l'est, combien d'exemplaires et avec quelles annotations – elle est un témoignage, une mémoire, à la fois synthétique, critique et créative, d'une communauté à travers les âges. Ce que je retiendrai surtout de cette exposition, c'est qu'elle a été organisée par quelques professeurs avec un groupe d'étudiants, dont certains ne savaient même pas à l'avance qui étaient les Capucins. Le choix des thèmes et des livres a été laissé à ces jeunes. Ainsi, le patrimoine, parfois vieux de plusieurs siècles, constitue un tremplin vers une connaissance plus approfondie de l'Église, de la foi et de la vie religieuse aujourd'hui.

frère Anton Milh

« Vanitas » par Adam Bernaert, 17ème siècle, du Walters Art Museum (à Baltimore, dans le Maryland). Wikipédia.

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