Silencieuses et essentielles

  • Fr. Guy

À la rencontre des femmes oubliées de l'Église ouvrière et rurale (1940–2000)

Michèle Rault, Les missionnaires de l’ombre. Femmes catholiques engagées dans le monde ouvrier et rural de 1940 à 2000. Éditions du Cerf, 2024. 621 pages

Nul doute, j’ai eu les yeux plus gros que le ventre en faisant l’acquisition de ce volume de plus de 600 pages. Je ne ferai que le présenter brièvement sur ce blog. Son intérêt dépasse assurément mes capacités visuelles du moment.

Son auteure est présentée comme historienne, conservatrice du patrimoine et archiviste. Son livre jette un regard sur une période périmée de l’histoire de notre Église. 1940-2000, ce sont six décennies du siècle dernier qui correspondent à un tournant important de notre vie sociale et religieuse. Cette histoire est conservée dans des archives, comme celles d’Ivry-sur-Seine où vécut Madeleine Delbrêl, mais aussi dans la mémoire, la correspondance ou les autobiographies de quelques survivantes de cette époque déjà bien lointaine. Ces femmes furent interrogées par l’auteure, qui nous en donne une liste.

Ce livre n’aurait sans doute pas vu le jour sans la vague féministe qui traverse actuellement notre société occidentale et qui questionne au passage l’Église de ce temps. L’auteure veut précisément réhabiliter la mémoire de ces femmes, missionnaires de l’ombre, qui témoignèrent de l’Évangile sans effet ostentatoire, comme ouvrières en usine, filles de ferme en milieu rural, sans relations ni projets d’envergure qui auraient pu les mettre en valeur. Contrairement à Madeleine Delbrêl, bien connue par ses ouvrages et ses interventions toujours respectueuses, mais nettes et sans compromis quand il était question d’Évangile.

Le maître mot de ces missionnaires de l’ombre était l’enfouissement. Non pas la conquête de nouveaux adeptes et adhérents, mais levain d’amour dans la lourde pâte humaine. Charles de Foucauld s’y serait peut-être reconnu.

Ces femmes toutefois avaient d’autres modèles : le cardinal Suhard, si proche de la Mission de France, ou la publication du livre des abbés Godin et Daniel : France, pays de mission ?. Refusant d’être considérées comme des religieuses ou embrigadées dans les rangs conquérants de l’Action catholique, elles étaient proches des prêtres de la Mission de France, des prêtres ouvriers, et pratiquaient entre elles, en petits groupes d’échange, la méthode "voir, juger, agir", mise en honneur par une Action catholique de nouveau style.

L’auteure donne plusieurs raisons qui expliquent la disparition de ces missionnaires discrètes et quasi invisibles. J’en mentionne quelques-unes. Elles furent éclipsées par des femmes missionnaires de plus grand format. Madeleine Delbrêl n’est qu’un exemple parmi d’autres. La mort du cardinal Suhard, le décret romain mettant fin à l’expérience des prêtres ouvriers, les turbulences qui s’ensuivirent, en particulier dans la Mission de France, expliquent aussi leur disparition. La création conciliaire des instituts séculiers reprenait leurs objectifs tout en les structurant, comme Caritas Christi, institut séculier fondé par le frère Perrin, dominicain.

Plus que ces raisons conjoncturelles, le changement radical de la société occidentale en est responsable. On ne parle plus aujourd’hui de classe ouvrière ; les fermes, quand on en trouve encore, sont devenues des entreprises ou des îlots écologiques. Quant à l’Église, elle a cessé, en France du moins, de tenir le haut du pavé. Ses adhérents sont devenus minoritaires. Et le jeune clergé s’applique à rechercher, avec de nouveaux croyants, les pièces égarées du puzzle ecclésial pour reconstituer avec eux, et à leur façon, la cathédrale d’antan.

La foi en l’Église, qui a les promesses de la vie éternelle, est faite de ces soubresauts d’initiatives temporaires et successives qui lui donnent vie. On ne parle plus guère aujourd’hui des communautés de base ou de la théologie de la libération. Ces initiatives ont fait ce qu’elles devaient faire en leur temps et pour leur temps. Comme l’ont fait ces femmes missionnaires de l’ombre, engagées autrefois dans le monde rural et ouvrier français. Le temps n’est pas seulement venu de nous en souvenir, mais de rendre grâce à Dieu qui les a suscitées. Dieu n’abandonne pas son œuvre, mais appelle chaque jour de nouveaux ouvriers et ouvrières à sa moisson.

Cette image a été créée avec l'aide de DALL·E.

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