Religion de l'amour
Ac 15,1-29 / Ps 66 / Ap 21,10-23 / Jn 14,23-29
« Cela provoqua un affrontement ainsi qu’une vive discussion engagée par Paul et Barnabé contre ces gens-là » (Ac 15,2). Nous le voyons : la dispute est houleuse entre les disciples, lorsqu'il s'agit de questions religieuses. Cela n'a pas beaucoup changé depuis leur époque. En tout temps, les hommes ont eu du mal à s'entendre sur ce plan-là. Par disgrâce, un peu partout dans le monde, au lieu d'être un motif d'union entre les hommes, la religion devient une cause de division entre ceux qui sont convaincus d'avoir raison contre les autres ou qui s'accrochent à des préceptes et des lois dont la lettre étouffe souvent l'esprit, ainsi que l'enseignera Paul (cf. 2 Co 3,6). Et les apôtres aussi sont conscients que, dans leurs propres rangs, certains esprits chagrins voudraient enfermer le souffle de l'Évangile, le mettre au service de leur propre doctrine. « Certains des nôtres sont allés, sans aucun mandat de notre part, tenir des propos qui ont jeté chez vous le désarroi » (Ac 15,24).
Si l'on replace dans son contexte la discussion qui anime la première communauté, on peut comprendre que les esprits soient en émoi. En effet, ce n'est rien de moins que la circoncision qui est mise en question : le signe de l'Alliance inscrit dans la chair du peuple juif depuis les origines. Ils tiennent à leur religion : on peut les comprendre ! Elle leur a permis de tenir debout face à l'adversité. Quand on y pense, c'est tout de même inouï que ce peuple minuscule, entouré de nations brillantes et populeuses — Égyptiens, Phéniciens, Babyloniens, Perses, Grecs, Romains, etc. — ait survécu jusqu'à nos jours, alors que toutes ces civilisations, sans exception, ont disparu de la surface de la terre. C'est vraiment l'histoire de David et Goliath (cf. 1 Sm 17,40-51). Et cette force, c'est bien dans leur religion qu'ils l'ont puisée.
Encore que... Est-ce vraiment dans leur religion ou plutôt dans leur foi ? Il semble, en effet, que ce soit plutôt leur foi qui les ait sauvés. D'ailleurs, lors de la diaspora, on voit bien que la foi en un Dieu unique est ce qui subsiste, même après que les structures de la religion soient anéanties, avec la destruction du Temple, vingt et un ans après l'épisode dont on vient de nous faire la lecture : celui du premier concile de l'Église. “Concile de Jérusalem” qui décida de ne plus imposer la circoncision aux chrétiens qui n'étaient pas d'origine juive. Bien sûr, la décision s'imposait : le signe du salut, désormais, c'est le baptême. S'il doit être accompagné d'un autre signe, c'est qu'il n'est pas suffisant en soi et que toute la prédication de la première Église est caduque. Pas moyen de transiger là-dessus.
On comprend donc bien que les prises de position, de part et d'autre, soient sensibles. Mais on nous précise aussitôt que la décision fut prise à l'unanimité par le collège apostolique. À travers eux, l'autorité s'est exprimée. « L'Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé... » (Ac 15,28). L'Esprit... Celui que le Christ avait promis et dont il dit qu'il fera toutes choses nouvelles. « On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement, les outres se rompent, le vin se répand, et les outres elles-mêmes sont perdues » (Mt 9,17). La foi est trop libre pour se placer sous le joug des vieilles habitudes. D'ailleurs, voyez le désastre : non seulement le vin de la foi se répand, mais les outres de la religion se rompent et tout est perdu. Il ne s'agit plus de s'enfermer dans des formes, qui ont pu avoir leur validité à un moment donné, mais de se placer dans la mouvance de l'Esprit qui souffle où il veut et quand il veut. Il s'agit de s'en remettre à lui, entièrement, d'être ductile : c'est-à-dire de se plier au feu de cet amour ardent qui est devenu le seul critère valable pour diriger la communauté.
Combien de fois la pratique religieuse compulsive et maniaque a-t-elle ainsi mené des hommes, des femmes et même des enfants, à perdre la foi, à répandre le vin de l'Alliance Nouvelle et, ensuite, à mourir de soif en cherchant ailleurs ce dont ils ont été privés chez nous ? La question est grave. Pour nous, comme pour les Juifs, la religion est nécessaire. Elle est l'outre dans laquelle nous recevons le vin. Bien entendu ! Elle est la lampe qui protège la flamme encore vacillante de la foi. Mais si la lampe est hermétiquement close, alors la flamme est étouffée. Quel drame, en vérité, que ce qui devrait être au service de l'Esprit en devienne l'ennemi. La religion — notre religion mal pratiquée et mal enseignée — pourrait être ce qui a le plus contribué à éloigner du Christ une multitude d'hommes en quête de la vérité, ceux qui avaient soif de ce vin nouveau dont nous les avons privés. En avons-nous pris la mesure ?
Comme il est facile de condamner les autres ! De reprocher aux pharisiens de plier le genou devant la lettre et de tuer l'esprit. Mais cette histoire n'est pas celle des pharisiens : elle est la nôtre. Ne l'oublions pas : il est une manière d'affirmer hautainement ses certitudes qui coupe la tête, ni plus ni moins, à ceux qui n'ont pas encore eu la grâce d'échapper aux assauts d'un doute qui nous cerne de toutes parts. Alors, ils s'en vont ; ils se disent : « Ceci n'est pas pour nous ! » Nous pensions être convaincants ? Ils ne croient pas en notre langage, car ils sentent que celui-ci cache d'immenses précipices que nous sommes souvent incapables de reconnaître. Nous pensions les avoir convaincus : nous les avons seulement vaincus. Ce sont eux les grands perdants, car nous leur avons coupé la voie qui mène au Christ. Mais nous y perdons nous aussi, car leur déception nous accuse et nous devrons en rendre compte. Le sang d'Abel crie vers le ciel (cf. Gn 4,10). Et la querelle des deux frères — la première querelle de l'histoire humaine — était déjà une dispute en lien avec des questions rituelles !
Les apôtres, nous le voyons, ont tranché. Et ils ne l'ont pas fait dans le sens de la religion ! Leur souci était de ne pas fermer aux hommes des nations l'accès au Royaume des cieux, pour des questions... j'allais dire, “bassement religieuses”. Ils comptent sur les Juifs convertis pour comprendre ce virage à 90 degrés qu'ils ont choisi de prendre. Tous n'y parviendront pas. Mais l'histoire de l'Église, l'histoire de l'assemblée de ceux qui ont voulu mettre leurs pas dans ceux du Christ se poursuit. Elle ouvre ses bras au monde entier et reçoit des hommes de toutes races, peuples et nations. L'amour est le seul langage universel. Et ce qui donne sa force à la parole des apôtres, ce qui leur confère leur pleine autorité, nous précise le Livre des Actes des Apôtres, c'est qu'ils ont fait le don de leur vie. Voilà : c'est cela qui fait toute la différence. On ne se bat plus sur des questions de principes, mais sur ce qui fait notre adhésion vitale au message du Christ, cette foi que nous ne pourrions perdre sans perdre en même temps notre vie.
On est bien au-delà de tous les cadres contraignants ! On est dans la folie qui va renverser le monde et propager ce feu que le Christ est venu porter sur la terre. Le feu d'un amour qui n'a peur de rien. « Dieu nous bénit ; que la terre toute entière l'adore » (Ps 66,8), venons-nous de chanter avec le psalmiste. Et puis, il y a, bien au-dessus de nos concepts, pour louables qu'ils soient, le resplendissement de la Jérusalem céleste. Attention : il s'agit bien de Jérusalem, la ville sainte de nos frères juifs ! Mais dans une autre version, renouvelée de l'intérieur par une lumière qui ne vient ni du soleil, ni de la lune. Et puis cette révélation fracassante de saint Jean : « En elle, je n'ai pas vu de Temple ! » (Ap 21,22). Le Temple est pourtant le symbole par excellence de la religion ! Que signifie cela, sinon justement que la religion n'entrera pas au paradis ! Les formes nous sont indispensables, ici-bas, elles nous permettent de rester fidèles à ce que nous sommes et de dire aux autres qui nous sommes. Mais il nous faudra abandonner les formes — toutes les formes — pour entrer dans le règne de l'infini. Jésus nous laisse notre paix : celle que nous nous efforçons de consolider par nos humbles pratiques religieuses. Mais sa paix, il ne la donne pas comme la donne le monde (Jn 14,27). Il ne la donne pas en s'appuyant sur le socle de la religion ou d'une quelconque idéologie, mais en infusant directement, de son cœur vers le nôtre, cette vie qui commence ici même, mais qui n'aura jamais de fin. Oh ! viens Seigneur ; viens nous convertir... !

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