Réformatrices au fil des siècles
- Fr. Guy
Le titre de l’ouvrage est clair et fidèle à son contenu. Il évoque douze femmes, certaines méconnues ou oubliées, qui ont pris une part importante à la réforme protestante du XVIᵉ siècle et à son histoire. Elles sont originaires de divers pays européens touchés de près par cet événement religieux.
Ce sont des femmes contemporaines, pour la plupart théologiennes ou historiennes, qui sont à l’origine de cet ouvrage. Quel but poursuivent ces dames ? Je me risque à avancer une hypothèse.
Peut-être veulent-elles rendre hommage à tant d’épouses de pasteurs qui ont tenu pendant des siècles des seconds rôles à côté de leurs prédicateurs de maris ? Ce qui ne les empêchait pas, occasionnellement, de donner leur avis. Ce qui leur fut interdit pendant longtemps était d’accéder à des postes de responsabilité dans l’Église et même de s’inscrire comme étudiantes dans une faculté de théologie. Quelques-unes ont échappé à cette discrimination. L’ouvrage que nous présentons rend témoignage à cette poignée de femmes courageuses et inspirées.
J’ai retenu particulièrement, dans ce lot, le personnage de Marie Dentière (1495–1561), la seule et unique femme dont le nom est inscrit sur un bas-côté du monument des Réformateurs, situé dans le Parc des Bastions à Genève. Une initiative récente due à Isabelle Graesslé, directrice du Musée de la Réforme de Genève.
Originaire de Tournai, Marie Dentière eut affaire avec Jeanne de Jussy, abbesse des Clarisses du Bourg-de-Four avant leur expulsion à Annecy. L’une et l’autre cherchaient à gagner à son camp son interlocutrice ou sa rivale. Pas très chrétien ce dialogue fait d’altercations…
La notice sur Marie Dentière a été rédigée par Daniela Solfaroli Camillo, éditrice de ce livre. Elle couvre une quinzaine de pages de l’ouvrage. On y apprend que Marie Dentière était protégée par la reine Marguerite de Navarre, la sœur du roi François Ier. La reine fut la marraine de la fille aînée de Marie, et probablement elles étaient contemporaines. Demeure comme trace de cette amitié une Épître de Marie adressée en 1539 à la souveraine. L’éditrice en publie quelques extraits où elle a sans doute repéré cette citation qui est le titre de sa notice : « Avons-nous deux Évangiles, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes ? »
Marie Dentière serait née vers 1495 dans une famille de marchands. Elle prit le voile de religieuse dans une communauté de Sœurs Augustiniennes, puis, comme tant d’autres jeunes religieuses de son époque, elle quitta le monastère dans les premières années de la Réforme, séduite par le couple formé par Martin Luther et Katherine Bora, et plus encore par la doctrine luthérienne sur le sacerdoce universel des fidèles. Quant à Marie, elle épousa Simon Robert, un ancien curé de Tournai, proche du réformateur Guillaume Farel. Ce dernier était au service des Bernois devenus protestants en 1526. Le couple s’installe à la cure d’Aigle, bailliage bernois. En 1533, Marie Dentière devient veuve et épouse en secondes noces Antoine Froment, collaborateur de Farel. Elle le rejoint à Genève avec ses enfants, où elle intègre le cercle des réformés, non pas comme femme de pasteur, mais en tant que « prédicatrice ».
On ne saurait dire que son activité de prédicatrice fut un succès. Son franc-parler et son comportement étaient difficilement supportés par les pasteurs de Genève ou de Lausanne. Personnellement, je trouve intéressant, et peut-être même séduisant pour nos contemporains, cet extrait de la lettre de Marie Dentière à la reine Marguerite. J’en publie quelques lignes ci-dessous. Elles nous parleront davantage de la personnalité de cette femme que ses disputes avec l’abbesse Jeanne de Jussy :
(…) Pour bien cacher leurs mauvaises intentions, (les clercs) diront : Ce n’est pas ainsi qu’il faut comprendre, (…) car l’Écriture a plusieurs sens, elle se comprend de plusieurs manières. Il n’est pas du ressort des femmes de l’interpréter, ni des gens qui ne sont pas lettrés…
Je demande : Jésus n’est-il pas mort aussi bien pour les pauvres ignorants et les idiots que pour ces messieurs rasés, tonsurés et mitrés ?...
Avons-nous deux Évangiles, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes ? L’un pour les sages, l’autre pour les fous ?
Cet ouvrage concerne des réformatrices de sensibilité protestante. L’Église catholique a-t-elle aussi ses réformatrices ? Je pense très librement à Thérèse d’Avila, la réformatrice du Carmel, à Catherine de Sienne, qui n’avait pas de mots assez durs pour fustiger les travers des clercs de son temps, et même à Madeleine Delbrêl, notre contemporaine, qui, à sa manière, renouvela l’expérience missionnaire. Bien sûr, ces dernières ne cherchent pas leurs modèles du côté de Martin Luther ou de Jean Calvin. Mais elles ont les yeux fixés sur Jésus-Christ et son Église. Ont-elles été comprises ou négligées comme les douze femmes dont parle notre livre ? Je ne réponds pas à cette question, mais j’ouvre un débat. Puisse-t-il être œcuménique !
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