Que l’homme chemine loin ou près, Dieu n’est jamais loin
Estavayer-le-Lac, 12 février 2022
1 R 12, 26-32 ; 13, 33-34
Mc 8, 1-10
Vous avez tous été témoins de la question que j’ai posée à Alexandre : « Que demandes-tu ? »
Et sa réponse était : « La miséricorde de Dieu et la vôtre ». Faire profession, c’est se confier à la miséricorde de Dieu et faire appel à la miséricorde d’une communauté de frères et de sœurs avec laquelle notre frère veut désormais faire route, dans la suite de Jésus et inspiré par l’exemple de St Dominique. Ce que cela veut dire, le frère Alexandre nous l’a dit récemment dans son magnifique livre Neuf jours pour découvrir Saint Dominique. Méditations spirituelles.
Sa propre découverte de Saint Dominique, Alexandre l’a montré pendant les années qui ont précédé ce jour, des années de prière, d’études, de vie fraternelle et apostolique. A la fin de son livre frère Alexandre cite un mot de Saint Dominique, que celui-ci aurait dit en envoyant les frères prêcher : « Allez avec assurance, parce que le Seigneur vous donnera la parole de prédication et sera avec vous, et rien ne vous manquera ».
Alexandre a entendu cette promesse de Saint Dominique et il accepte cet appel et l’envoi à la mission par un engagement « jusqu’à la mort ».
Dans une société qui aime le provisoire et qui est plus que jamais incertaine concernant son propre futur – que ce soit économique ou sanitaire, social ou politique – un tel engagement requiert une liberté d’esprit qui est prête à orienter toute la vie vers la bonté divine, tout en espérant fermement que celui qui cherche Dieu le trouvera et tous les biens avec lui. « Attache-toi à Dieu et tout bien s’attachera à toi » (Maître Eckhart, Discours du discernement, 5).
C’est pourquoi notre frère promet obéissance tout d’abord à Dieu – et puis à la bienheureuse Vierge Marie et au bienheureux Dominique : il donne ainsi unité et cohérence à sa vie. Il promet aussi obéissance au maître de l’Ordre, qui est le garant de l’unité de l’Ordre et de notre forme de vie qui se déroule selon la règle de Saint Augustin et les institutions des frères prêcheurs.
La profession accomplit pleinement la consécration qu’Alexandre a reçu lors du baptême et par le vœu de l’obéissance notre frère met librement son avenir dans les mains de Dieu. Par l’obéissance « nous nous surpassons en notre propre cœur » – comme dit Saint Thomas en citant Saint Grégoire le Grand (II-II q 104, 1, ad 1) et nos constitutions commentent : ce don de nous-mêmes nous donne cette liberté intérieure qui nous rend disponibles et attentifs aux exigences de la charité.
Celui qui fait profession se voue totalement au vrai Dieu, renonçant, par les trois vœux, aux dieux et aux idoles, qui, comme déjà dans le temps du roi Jéroboam, conduisent aujourd’hui les gens en procession vers les lieux sacrés modernes, l’acquisition de la richesse, la recherche du pouvoir pour dominer l’autre, les addictions physiques et psychiques qui étouffent les capacités naturelles et qui nous empêchent devenir des personnes vraiment aimantes.
La profession, un acte d’espérance – qui n’a d’autre motif et fondement que le Christ Jésus qui est, parmi nous, en personne notre espérance (1 Tim, 1, 1). Si le frère prêcheur veut suivre Jésus, il est appelé à se comporter comme Lui, donner à ceux et celles qui écoutent sa prédication fermeté dans la foi. C’est la quintessence de notre vocation de prêcheurs : semer l’espérance pour que les hommes puissent, par la charité, vivre humainement en découvrant le vrai Dieu.
L’évangile que nous avons entendu aujourd’hui nous montre, comment le Christ Jésus a semé et donné espérance. Il donne espérance puisqu’il est compatissant. L’évangéliste Saint Marc nous dit qu’une grande foule avait suivi Jésus, ce prédicateur itinérant. Jésus dit : « J’ai de la compassion pour cette foule, car depuis trois jours déjà ils restent auprès de moi, et n’ont rien à manger. Si je les renvoie chez eux à jeun, ils vont défaillir en chemin et certains d’entre eux sont venus de loin. »
Le frère dominicain, la sœur dominicaine est appelée à suivre Jésus dans cette compassion pour la foule. Il ou elle distribue le pain de la Parole de Dieu, il ou elle fait connaître le Christ qui est Lui-même le pain eucharistique, béni et rompu, pour rassasier les hommes dans les déserts de notre monde.
C’est bien le projet de la sainte prédication : partager et de distribuer ce pain de la compassion et de la miséricorde comme l’a fait Dominique. C’est un service, une diaconie, rendue à l’Eglise.
Le maître de l’Ordre, le frère Gerard Timoner l’a rappelé dans son homélie à l’occasion des 800 ans de la mort de St Dominique. Il parlait de la diaconie de la prédication. « Dominique a enraciné la diaconie de la prédication dans la communion fraternelle. Le charisme de la prédication qu’il reçut, poussa Dominique à rappeler à l’Église que sa mission était de prêcher l’Évangile à tout l’univers, mais aussi que cette prédication relevait d’une mission confiée non pas à quelques élus, mais à tous les membres de l’Église. C’est un charisme partagé par tous les membres de la famille dominicaine : frères (clercs et frères coopérateurs), moniales, sœurs apostoliques, membres des fraternités sacerdotales et laïcs dominicains. »
Saint Marc nous dit : « Les gens mangèrent et furent rassasiés ». Mais il y avait les morceaux qui restaient. Les disciples les ramassaient et cela faisait sept corbeilles.
Les sept corbeilles sont le symbole de toute l’humanité qui a fait, qui est fatiguée et à laquelle nous nous adressons par la prédication. Par notre ministère cette humanité, qui vient toujours de loin, reçoit comme provision de route avant tout le pain qui est le Christ lui-même mais aussi, pour leur longue route, ces morceaux qui restent : notre sollicitude apostolique, le fruit de notre contemplation studieuse et de notre prière.
Dans ses multiples misères, divisions et discordes, ses erreurs et frustrations cette humanité pourra trouver en nous des frères et des sœurs qui sont mus par la compassion et qui vivent de cette vérité divine qui rend libres.
Le contenu de ces sept corbeilles, ce sont en somme, au travers de notre mission apostolique, les sept dons de l’Esprit Saint qui viennent de la générosité surabondante de la grâce du Christ et qui guident sûrement l’humanité sur sa route dans le monde. Car malgré les erreurs et les déviations, l’humanité entière, dans la diversité de ses croyances, ne devrait pas rater sa voie vers une convivialité juste et fraternelle, vers l’abondance de la vie que le Christ a promis à tous et que nous pouvons transmettre.
Ces sept corbeilles, ce sont les dons de l’Esprit Saint que le Christ nous demande à distribuer à ceux et celles qui nous sont confiés afin que leur âme soit sauvée par :
- - la sagesse qui fait goûter la présence de Dieu par notre prédication missionnaire
- - l’intelligence des écritures et de la vérité divine que l’Eglise nous demande à transmettre
- - la science qui aide à trouver Dieu en toutes choses, dans la nature et l’histoire
- - la force qui donne la persévérance dans l‘épreuve et le courage du témoignage
- - le conseil qui est la capacité de discernement pour voir clair en nous-mêmes et les autres
- - la piété qui nous aide à découvrir la tendresse de Dieu et son souci pour sa création
- - la crainte qui inspire en nous l’humilité et l’émerveillement pour la grandeur de Dieu
Cher frère Alexandre, c’est l’Esprit Saint qui t’enrichira de ses dons. Je ne peux que t’encourager de les recevoir avec joie. « La joie du Seigneur est votre force » (Néhémie 8, 11).
Permets-moi de te donner un conseil personnel que j’ai appris chez maître Eckhart : Apprends à trouver Dieu présent en tout ce que tu fais, à l’Eglise ou dans ta cellule, au sein de la foule, dans l’agitation et dans l’inégalité du monde. Dieu est fidèle et aimant, il fait de nous ses amis et plus encore, il veut créer une terre nouvelle. Il nous y engage ici et maintenant.
Et maître Eckhart ajoute dans ses Conseils spirituels : « Dieu est le Dieu du présent. Tel il te trouve, tel il te prend et t’accueille, non pas ce que tu as été, mais ce que tu es maintenant » (12).
Et il nous est toujours proche.
« En aucune façon, l’homme ne doit se croire loin de Dieu, ni à cause d’une faute ou d’une faiblesse, ni à cause de quoi que ce soit. Et même si la grandeur de tes fautes t’avait chassé si loin que tu ne puisses te sentir proche de Dieu, tu dois cependant considérer que Dieu est proche de toi … Que l’homme chemine loin ou près, Dieu n’est jamais loin : il se tient toujours à proximité, et s’il ne peut rester à l’intérieur, il ne va jamais plus loin que sur le pas de la porte » (17).
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