Pro domo et domino
- Fr. Guy
Ce livre a été édité il y a un siècle. Je ne le mentionnerais pas sur ce blog si cet ouvrage n’avait pas joué un rôle important dans la décision que je pris un jour de devenir dominicain. J’en ai conservé un exemplaire dans ma bibliothèque privée. Un ami à qui je l’avais prêté vient de me le restituer. De là mon désir ou ma curiosité de le feuilleter à nouveau.
C’était le frère dominicain fribourgeois Pierre Emonet (1918–2000), qui m’avait fait connaître l’ouvrage de Clérissac, alors que je lui faisais part de mon intention d’en savoir davantage sur son Ordre religieux. C’était dans les années 1955–1956. J’étais alors collégien au « Collège St-Michel » de Fribourg, là où le Père Emonet, à un rythme intensif, initiait à la pensée de Platon, d’Aristote et des présocratiques les élèves de la classe de septième à laquelle j’appartenais. Le professeur était loin d’être banal. Brillant pédagogue, pétulant sur sa chaire professorale, il avait le don de nous captiver et même de nous éblouir. Sa facilité à traduire dans un langage accessible au commun des mortels les subtilités de la philosophie m’a toujours fasciné. Il aimait enseigner et écrire « pour les simples », avait-il l’habitude de dire.
Mais sans nous séduire pour autant. Ainsi, ne fit-il aucune pression sur moi pour que je devienne « Frère Prêcheur », mais il me montra le chemin pour le devenir. Ce n’est pas par hasard que je le choisis plus tard comme confesseur. Je n’appellerai pas amitié cette proximité, même si je fus un de ses derniers confidents. Au terme d’une visite à l’hôpital où la maladie allait l’emporter, j’ai récolté ces mots sortis de ses lèvres : « Je n’ai pas peur de mourir ; je vais voir Dieu. »
Cette déclaration est celle d’un chercheur de Dieu en quête d’une vérité qui va bien au-delà des traités de philosophie antique, moderne ou contemporaine. Cette exigence amena un jour le Père Emonet à quitter son enseignement et son couvent pour entrer dans une chartreuse où cet appel lui paraissait plus net. Après quelques mois, il reprit son habit dominicain pour se mettre au service d’une multitude d’hommes et de femmes, laïcs ou religieux, qui avaient recours à sa sagesse exprimée avec une netteté parfois tranchante et sans complaisance.
Les lecteurs âgés – ses anciens élèves – connaissent sans doute les œuvres majeures du Père Emonet, toutes écrites pour les « simples ». Épuisées sans nul doute, elles reposent désormais dans des bibliothèques ou des archives spécialisées, comme celles du couvent dominicain St-Hyacinthe de Fribourg (Rue du Botzet) où le Père Emonet était assigné.
Mais revenons au Père Humbert Clérissac (1864–1914), auteur du livre dont il est question sur ce blog. Il est évident que le Père Emonet – et moi donc ! – n’avions en main que l’édition publiée en 1924. Un avant-propos du frère J-M. Perier, provincial à cette époque de la province dominicaine de Lyon, nous en dirait-il davantage ?
En fait, nous apprenons que le livre de Clérissac contient deux textes : une prédication de retraite en Angleterre et une autre pour des dominicains français réfugiés dans le Limbourg néerlandais. J’imagine que cet apostolat leur était alors interdit en France suite aux graves conflits qui agitèrent l’Église et l’État français au début du 20ème siècle. Un conflit qui avait contraint à l’exil de nombreux religieux français.
« Malgré ses lacunes et son caractère imparfait », le provincial recommande cet ouvrage à tous ceux qui veulent travailler dans notre Ordre « pro domo et domino », pour la maison et son propriétaire.
Cette formule latine d’origine augustinienne évoque le chien de garde fidèle qui aboie chaque fois que son maître ou ses biens sont menacés ou victimes d’agressions extérieures.
Les Dominicains seraient-ils donc des « domini canes » ? J’avoue n’y avoir pas songé à ma première lecture du livre de Clérissac. L’ouvrage ne contient pas que des aboiements, mais une synthèse spirituelle et humaine qui devrait encore me séduire aujourd’hui, « malgré mes lacunes et mes imperfections ».
Quelques extraits tirés de la conclusion du livre, notamment de son sommaire, énumèrent les composantes essentielles de l’être dominicain. Sont-elles encore celles de nos jours ?
Notre vocation dominicaine, selon Clérissac, n’est pas une variété accidentelle de la vie religieuse, mais un type nouveau dont voici les éléments : l’apostolat, la Vérité, l’héritage canonial, en particulier la vie communautaire, la prière chorale et liturgique, la note dominicaine dans les postulats de la conscience, l’orientation vers Dieu par la charité, la confession sacramentelle individuelle, la doctrine de la grâce et ses applications pratiques, la dévotion dominicaine au Seigneur Jésus et à sa Mère, la loyauté envers l’Église. Bref, un outillage qui est loin d’être complet. Toutes les composantes d’un idéal qui n’est jamais atteint.
Cette liste d’outils suffisait pour séduire un jeune collégien de dix-huit ans qui cherchait sa voie dans l’Église de son temps. Lui faisaient défaut alors les exemples lumineux des aînés qui avaient parcouru ce chemin avant lui, mais aussi les troubles provoqués par le comportement scandaleux d’autres dominicains qui déshonorèrent leur vocation de « prêcheurs ».
Et maintenant, me voilà au terme d’une longue vie dominicaine, les mains ouvertes devant Toi Seigneur. Toi seul peux donner du prix à ce qu’elles peuvent contenir. Ne serait-ce qu’un tout petit rien !

Kommentare und Antworten
Sei der Erste, der kommentiert