Fribourg rend hommage aux Passeurs d’hommes

Ce vendredi 16 mai, le couvent Saint-Albert (« Albertinum ») de Fribourg a accueilli une journée d’étude poignante consacrée à l’engagement courageux de prêtres suisses et français dans les réseaux de sauvetage des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Intitulée Passeurs d’hommes, cette rencontre universitaire s’inscrivait dans le cadre des commémorations du 80e anniversaire de la défaite de l’Allemagne nazie. Elle a rassemblé des chercheurs, enseignants, étudiants et descendants de figures ecclésiastiques engagées dans la Résistance.

Placée sous la coordination du frère Paul-Bernard Hodel, directeur de la Chaire d’histoire de l’Église à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, et du frère Rémi-Michel Marin-Lamellet, assistant à cette même chaire, la journée s’est structurée en deux grandes parties abordant à la fois les motivations morales et les réseaux concrets de passage.

La première partie, intitulée « Comment et pourquoi faire passer des frontières ? », a ouvert la matinée avec une intervention de Ruth Fivaz-Silbermann, docteure en histoire, sur l’aide vitale du clergé catholique aux Juifs fuyant vers la Suisse. Elle a été suivie par Cindy Biesse, docteure en histoire (Lyon 3) et professeure agrégée en classe préparatoire au lycée Notre-Dame-des-Minimes (Lyon), qui a présenté le rôle central de certains prêtres dans les réseaux de sauvetage.

Ensuite, Laurent Ducerf, docteur en histoire et professeur de chaire supérieure au lycée Pasteur de Besançon, a offert une réflexion originale sur une théologie chrétienne de la transgression (1941–1944). Enfin, Sylvie Bernay, professeure agrégée et docteure en histoire contemporaine, a analysé la manière dont les évêques ont réagi aux filières de sauvetage des Juifs, entre prudence institutionnelle et engagement moral.

Après la pause, la deuxième partie de la journée, intitulée « Passer et faire passer en Suisse », s’est penchée sur des exemples locaux et concrets. Corinne Bonafoux, docteure en histoire contemporaine et maîtresse de conférences à l’Université Savoie Mont Blanc, a exposé l’action du clergé haut-savoyard dans la « fabrique des Justes ». Puis Laurent Genthon-Neury, directeur exécutif des études au Geneva Graduate Institute, a retracé le parcours de la filière de Douvaine, illustrant l’action de deux prêtres face à la persécution.

Parmi les figures mises en lumière, l’abbé Gaston Desclouds, curé de la paroisse catholique de Thônex, a occupé une place d’honneur. Son petit-neveu, Ivan Nemitz, praticien en médecine interne générale, a livré un témoignage personnel bouleversant sur cet oncle prêtre suisse, passeur pour la Résistance et au-delà. 

Guénaël Morio, directeur du Juvénat de Ville-la-Grand — une maison de formation religieuse située en Haute-Savoie, qui accueillait des jeunes garçons durant la guerre — a retracé l’histoire de ce lieu devenu, dans la clandestinité, un point de refuge et de transit pour des personnes persécutées. Il a montré comment cette institution catholique, tout en maintenant sa vocation éducative, a activement participé à des actions de sauvetage.

Claude Barbier, docteur en histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a consacré son intervention à la figure de l’abbé Claudius Fournier, en articulant mémoire familiale et enquête historique. Curé de la paroisse de Vers, en Haute-Savoie, des questions demeurent sur le véritable rôle joué par l’abbé Fournier : entre construction d'une belle histoire et réalité bien plus nuancée.

Les échanges furent marqués par une grande intensité, autant sur le plan historique que spirituel. La journée s’est conclue sur un moment de discussion collective, suivi d’un apéritif dans une ambiance de recueillement et de reconnaissance.

Cette rencontre a non seulement ravivé une mémoire trop souvent oubliée, mais elle a aussi stimulé une réflexion contemporaine sur le courage moral, la désobéissance évangélique et la solidarité agissante. En rappelant les choix de conscience posés par ces hommes d’Église, elle a rendu hommage à celles et ceux qui, au péril de leur vie, ont refusé de se taire devant l’injustice.