Murmures d'Algérie

  • Fr. Guy

Récits de foi, de sacrifice et d'humanité au cœur du tumulte

Kamel Daoud, Houris. Roman, Éditions Gallimard 2024, 412 pages.

Les médias ont beaucoup parlé du dernier Goncourt, prix attribué au roman de l’écrivain algérien Kamel Daoud. Non seulement pour ses qualités littéraires incontestables, mais pour évoquer un événement dont on craint de parler encore ouvertement aujourd’hui : la guerre civile des années 90 qui opposa les forces islamistes à celles du gouvernement militaire en place à cette époque. Un sujet devenu indécent tant il suscita de haines et d’horreurs. Kamel Daoud a le courage d’en parler, même s’il choisit pour le faire la forme du récit romanesque.

Son héroïne, Aube, « est une jeune Algérienne qui doit se souvenir de la guerre d’indépendance qu’elle n’a pas vécue et oublier la guerre civile des années 90 qu’elle a elle-même traversée. Sa tragédie est marquée sur son corps : une cicatrice au cou et des cordes vocales détruites. Muette, elle rêve de retrouver sa voix. Son histoire, elle ne peut la raconter qu’à sa fille qu’elle porte dans son ventre. Mais a-t-elle le droit de garder cet enfant ? Peut-on donner la vie quand on vous l’a presque arrachée ? » (Page 4 de couverture)

Certaines personnes proches de moi m’ont conseillé de ne pas entreprendre la lecture intégrale de ce roman. La description d’horreurs subies par des humains ne ferait qu’aggraver le niveau pas très élevé de mon moral. Je leur obéis, mais tout en ajoutant ceci :

Des noms très attachés à notre mémoire dominicaine figurent sur le tableau tragique de cette époque démentielle. L’évêque d’Oran, notre frère Pierre Claverie, fut victime d’une bombe anonyme camouflée sur les marges de sa résidence. L’engin meurtrier devait aussi emporter Mohamed, son chauffeur. Le frère Jean-Jacques Pérennès, pied-noir comme Pierre Claverie et ami de sa famille, devait un jour rédiger la biographie du prélat et publier ses lettres. Il rappelle que Pierre ne se convertit que sur le tard à la thèse d’une Algérie algérienne, dont il fut en quelque sorte la victime, bien qu’on ignore encore l’identité précise de ses tueurs, peut-être ou sans doute commandités. Ce qui n’empêcha pas l’Église de béatifier Claverie alors que Jean-Paul Vesco, un autre dominicain, lui avait succédé sur le siège épiscopal d’Oran. Est-il nécessaire de rappeler que le frère Jean-Paul est aujourd’hui archevêque d’Alger ? L’Église a certainement voulu reconnaître la foi véritablement évangélique de Claverie, fidèle à la vérité, mais respectueuse et ouverte aux autres monothéismes. L’amitié qui liait l’évêque catholique à son chauffeur musulman en est une belle preuve. Enfants d’un même Père et donc frères en humanité de tous les humains. Depuis son adolescence encadrée par le scoutisme, Pierre Claverie a vécu cette maxime.

Mieux connu fut le sacrifice, à la même époque, des moines de Tibhirine. Un très beau film, Des Dieux et des hommes, a consacré et universalisé la mémoire de ce drame. Comme pour le meurtre de Pierre Claverie, les assassins des moines de Tibhirine ne sont pas encore clairement identifiés. Le seront-ils un jour ? Ces moines n’ont pas besoin de cette précision. Leurs lettres, leurs œuvres littéraires disent suffisamment leur amour de tous les humains, quelle que soit leur religion. Le testament de Christian de Chergé, qui fut leur supérieur, est un témoignage émouvant sur ce point.

Mes lecteurs sont indulgents, ils me pardonneront quelques souvenirs personnels concernant l’Algérie. C’est en 1968 que je découvris ce pays en compagnie de jeunes séminaristes suisses qui, dans une ville des Hauts-Plateaux algériens, donnaient des cours de français à des collégiens algériens désœuvrés pendant le temps des vacances. Une occasion de découvrir la finesse de ces jeunes, leur intelligence, et j’ose même dire leur amitié. Pas l’ombre d’un ressentiment contre la France qui avait colonisé leur pays. La paix avait été signée six ans plus tôt (accords d’Évian). Une occasion inespérée pour moi d’admirer la beauté physique de ce pays, ses plages, ses sites archéologiques, et de me réchauffer sous son soleil. J’ai même pu me rendre à Gardaïa, une oasis du Sud.

Je crois que ce fut mon dernier contact physique avec l’Algérie. Suffisant toutefois pour éveiller mon intérêt pour ce pays et ses événements heureux ou malheureux. Une bonne surprise dans ma résidence du Vallon fut la rencontre de celle que j’appelle la Constantinoise. Une dame chargée du service, originaire de la ville de Constantine, dans l’Est montagneux algérien. Une sorte de complicité qui me fait du bien et me rapproche de tout ce qu’elle a vécu dans ce pays. Le fait qu’elle soit accompagnée de Filipo, Sicilien, est un signe de sa compréhension de l’humanité, si diverse en ses formes sociales et religieuses. Elle n’est pas la seule dans ce foyer à manifester cette richesse intérieure qui nous aide à supporter le quotidien.

Cette image a été créée avec l'aide de DALL·E

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