Marie-Joseph Lagrange

  • Fr. Guy

Le secret d’une vie

Augustin Lafay OP : Le Père Marie-Joseph Lagrange. Le secret  d’une vie chrétienne, Nova et Vetera, octobre-novembre-décembre 2020, p.446 - 468.

A quelque chose malheur est bon ! Le confinement sanitaire nous gratifie de précieux loisirs. Tel le regard porté sur le contenu de la dernière livraison de la revue romande Nova et Vetera, fondée en 1926 par le futur cardinal Charles Journet. Il contient un article peu commun sur le Père Marie-Joseoh Lagrange (1855–1938), fondateur de l’Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem. Son auteur, Augustin Lafay, historien dominicain, se propose de percer « les secrets » de la vie chrétienne de ce scientifique bibliste qui eut maille à partir avec l’inquisition romaine qui sévissait encore - par chance sans bûchers ! -  sous le pontificat de Pie X. Contraint de quitter son enseignement et ses publications, le Père Lagrange demeura fidèle à ses engagements religieux. A la différence de l’Abbé Alfred Loisy, son contemporain bibliste, poursuivi lui aussi pour ses idées « modernistes ». La seule tentation vite réprimée du Père Lagrange fut de fuir dans une chartreuse. Mais sans en avoir la vocation, selon ce que lui fit remarquer le Père Hyacinthe-Marie Cormier, son supérieur dominicain.

Pour Augustin Lafay, la vie spirituelle a sauvé le bibliste de la dérive et l’encourage à persévérer dans sa voie de chercheur croyant. L’historien se réfère au « Journal spirituel », mais aux lettres et autres notes personnelles laissés par le Père Lagrange et déjà remarqués par ses biographes. L’intérêt de l’article de Lafay est de regrouper toutes ces données en vue de brosser un portrait spirituel achevé du Père Lagrange, un portrait pour le moins inattendu et quelque peu paradoxal.

Disons d’emblée que les sources de la piété du Père Lagrange furent très locales, liées aux divers milieux qu’il fréquenta ou à des rencontres occasionnelles. Sa dévotion n’est donc pas unifiée par une conviction fondamentale ou une expérience vitale, telle qu’on peut la percevoir chez de nombres spirituels.

La piété des parents d’Albert (son nom de baptême) façonna celle de leur fils. Né à Bourg-en-Bresse, le jeune Albert fut impressionné par le « saint curé », son voisin du village d’Ars, puis voua une admiration sans borne à l’image de la Vierge vénérée à Autun, ville où il passa ses années de petit séminariste, avant de recourir aux prières de l’Immaculée honorée sur la colline de Fourvière, protectrice de la ville de Lyon. Cette dernière dévotion l’amena un jour à protester publiquement contre l’enseignement d’un théologien « thomiste » de Salamanque qui tournait en dérision les arguments de Duns Scot en faveur du dogme de l’Immaculée Conception. Un incident qui aurait pu provoquer à l’époque son exclusion de l’Ordre des Prêcheurs. Lagrange ne supportait pas que l’on puisse mettre en question l’honneur de « son » Immaculée.

C’est précisément à Salamanque, la ville où la communauté dominicaine de Saint-Maximin s’était exilée de 1880 à 1886 suite aux lois anti-congréganistes du gouvernement français que le jeune dominicain découvrit la « Grande Thérèse » réformatrice du Carmel. Son tombeau à Alba de Tormès n’était qu’à quelques heures de marche de son couvent d’exil. Des pèlerinages, la lecture répétée de ses œuvres lui fournit l’ossature spirituelle dont sa recherche scientifique avait besoin. Thérèse lui enseigna le courage de supporter les épreuves, même celles causées par des gents d’Eglise.  Il écrivit un jour en parlant de la sainte d’Avila : « Je lui dois de n’être pas devenu un vieux rat de bibliothèque. Je lui dois tout, car, sans elle, j’aurais dû me racornir, me dessécher l’esprit ».

Il ne semble pas que le Père Lagrange ait eu la même dévotion pour la petite Thérèse de Lisieux. Il l’a bien priée un jour de l’aider à tenir sa résolution de ne plus lire de romans. Mais, semble-t-il, la prière n’eut aucun effet.  

Par contre, saint Thomas d’Aquin ne le laisse pas indifférent. Tout d’abord, Albert est né un 7 mars, le jour où l’Eglise universelle le fêtait avant la réforme de son calendrier. C’est sans doute l’exemple de Tomas qui a inspiré au frère Marie-Joseph ces mots qui définissent le chercheur dominicain :

« Le frère prêcheur doit apparaître comme un ange du ciel. Il ne lui est pas interdit de connaître les besoins et les goûts de son temps, mais sa sphère d’action est plus haute ; les connaissances humaines peuvent lui servir, mais avant tout il doit prêcher in sapientia et virtute Dei ; son cloître n’est pas un laboratoire ou un cabinet de physique, ni même une bibliothèque ; c’est le lieu de sa conversation avec Dieu ; s’il en sort, c’est pour prêcher aux autres ce que Dieu lui dit au fond du cœur. Il y a toujours eu dans notre Ordre de pareils hommes. Dès ma profession, je l’avais déjà entrevu par la grâce de Dieu ; il y a les savants et les hommes d’oraison et ceux qui sont les deux. C’est la perfection de notre Ordre, mais pas la science humaine ».

Mentionnons aussi que selon une formule empruntée à saint Thomas, le Père Lagrange ne supportait pas les arguments légers d’apologètes zélés mais incompétents qui suscitaient les railleries des incroyants. Ad ridendos infideles, disait Thomas. L’homme d’oraison doit être aussi un homme de science pris au sérieux et respecté par ses pairs.

Pour ne rien dire de Madeleine qui fit pénitence à la Sainte-Baume, Augustin Lafay fait aussi allusion à d’autres influences qui marquèrent la spiritualité du Père Lagrange : le catholicisme social si vivant à son époque avec Lacordaire, Montalembert, Ozanam et les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul auxquelles prit part l’étudiant Albert. Une orientation sociale semble-t-il, qui inclina le futur dominicain à s’affilier à la Province de Toulouse plutôt qu’à celle de Lyon dont l’aire géographique recouvrait pourtant sa région natale. Il en donne lui-même la raison : « Certaines paroles assez dures pour Montalembert et même pour Lacordaire avaient impressionné fâcheusement mon vieux libéralisme, même dans mes sentiments de catholique pénitent ».

On retrouve chez le Père Lagrange cette sensibilité proche des humbles et des pauvres dans les dernières années de sa vie passées à Saint-Maximin. Les frères « convers » le tenaient en grande estime et prenaient soin de lui. Dans l’avant-propos de « L’Evangile de Jésus-Christ », paru en 1928, l’auteur écrit qu’il a voulu rendre son livre lisible et intelligible à « des personnes absorbées par un travail manuel ». Pensait-il à ces chers frères convers à qui il se faisait le plaisir d’offrir un exemplaire de cet ouvrage ?

Marie-Joseph Lagrange (Wikipédia/Tim Schramm. Ce fichier est sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. L'image a été recadrée.)

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