L’isolement peut être plus terrible que la mort
La traduction de l'anglais vers le français nous est offerte par le frère Viktor Hofstetter de la communauté de Zurich.
« Il y a quelques jours, en faisant la queue pour passer la sécurité à l’aéroport de Tel Aviv, j’observais un jeune homme devant moi qui manœuvrait ses valises. En avançant, il mettait toujours une valise à un mètre et demi devant lui et l’autre à la même distance derrière lui pour que personne ne puisse se mettre trop prêt de lui. Peut-être était-il sage, mais en même temps, c’était un symbole fort ; ce que le virus signifie pour des millions de gens : « Isolement et se tenir à distance ! ». La simple présence d’une autre personne peut être une menace, et nous pouvons l’être pour d’autres.
L’isolement peut être plus terrible que la mort. Tous, nous devons mourir, et pour beaucoup ce sera un soulagement bienvenu. Mais l’isolement nous ôte aussi notre humanité : des grands-parents sont isolés de leurs petits-enfants, des amoureux séparés l’un de l’autre. Dans la vie, nous sommes touchés l’un par l’autre, à partir d’un petit geste jusqu’à faire l’amour. Un personnage dans une nouvelle de Jonathan Safran Foer dit : « Le toucher ! pour moi c’était toujours important. Je vivais pour cela ! Je ne suis jamais arrivée à expliquer le pourquoi ; un petit rien, toucher, mes doigts contre ses épaules. En prenant place dans le bus nos côtes se touchaient. » Quand le virus du corona menace, même un geste qui normalement donne vie, peut devenir mortel.
La veille de mon départ, je suis allé au Saint-Sépulcre à Jérusalem, et je suis entré dans le tombeau où Jésus était supposé rester pendant trois jours. La « crux » de la foi chrétienne est un homme qui meurt dans un isolement total. Il était élevé au-dessus de la foule sur la croix, au-delà du toucher, devenu un objet nu. Il se sentait même séparé de son Père, et selon Marc et l’évangile de Matthieu, ses dernières paroles étaient : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » En ce moment, il embrassait plus que notre simple mort. Il faisait sienne la solitude que nous endurons des fois et dix millions de vies aujourd’hui.
La veille de sa mort, cet isolement était déjà palpable. Il rassemblait ses amis les plus proches autour de la table pour un dernier repas. L’un d’eux l’avait déjà vendu à ceux qui voulaient le tuer. Pierre, son roc, était prêt à le renier en prétendant de ne pas le connaître, et la plupart d’entre eux s’enfuyaient. Au moment le plus sombre, il faisait quelque chose d’inouïe, il prenait du pain et du vin, et il disait : « Ceci est mon corps et mon sang, livrés pour vous. »
Quand la communauté s’écroula et que chacun se trouvait seul face à l’avenir, il leur donnait la promesse d’une nouvelle communion qui sera plus forte que le reniement et la lâcheté, et que rien ne pouvait détruire, même pas la mort. Quand les églises restent fermées et les célébrations publiques sont annulées pour un certain temps, la promesse reste valable et le don est toujours donné.
Oui, ce virus terrible nous coupe physiquement les uns des autres, et cela est un désavantage profond. Mais en tant que chrétiens nous croyons que toute notre solitude est embrassée dans une communion qui perce toutes les barricades. Le Seigneur ressuscité vient à travers les portes fermées que les disciples se sont érigés en auto-isolation, et il enlève leurs peurs et leur solitude.
Même si nous ne pouvons pas aller à l’Eucharistie, nous pouvons toujours faire des gestes symboliques de communion. En Ireland du Nord, un hôtel a offert de livrer à des personnes enfermées à la maison des repas gratuits : « Appelez-nous avant une heure et commandez votre repas. Nous le livrerons ce soir pour diner chez vous – cela ne coûte rien ni pour le repas ni pour la livraison. » En Italie, les gens sortaient sur leur balcon et commençaient à chanter les uns pour les autres. La musique perce dans chaque pièce et embrasse les personnes dans leur solitude.
En effet, la musique est capable d’exprimer une espérance au-delà des mots. L’opéra sur le 11 septembre, ‘Between Worlds’ (‘Entre des mondes’) de Tansy Davies, a eu sa première mondiale en 2015. Certains étaient choqués par le fait qu’on pouvait composer un opéra d’un évènement aussi horrible, mais peut-être c’est la seule manière de faire face à une telle brutalité. Nicholas Drake, l’auteur du livret disait : « Nous avons pensé, que mettre la force transformatrice de la musique au cœur du drame permettait de mesurer la tragédie de ce qui se passait le 11 septembre et même découvrir une certaine lumière dans cette obscurité. Ce jour-là, il semble que la musique a même joué un rôle en aidant certaines personnes à mourir. En descendant les escaliers, un garde de sécurité chantait des hymnes à ceux qu’il accompagnait pour les encourager. Quelques proches en parlant au téléphone à leurs bien-aimés ne trouvaient plus de mots et commencer à chanter ensemble. »
Oui, pour des millions de nous, il nous faut endurer l’isolement, mais quels sont les gestes que nous pouvons faire et qui nous mettent en contact avec ceux que nous ne pouvons pas toucher ? Acheter des vivres pour tous ceux qui ne peuvent plus sortir et les déposer devant leur porte ; les appeler au téléphone ou envoyer un message. Des petits gestes qui expriment une appartenance profonde.
À chaque Eucharistie, nous rappelons ce que Jésus a fait face à la mort et en défiant l’ultime menace d’isolation. Je n’ai jamais été aussi conscient de cela que quand je disais la messe en Syrie, à moins de cinq miles de la ligne de combat en entendant des tirs pas très loin. La menace de violence était omniprésente, et pourtant l’espérance trouvait son expression dans notre chant, et en refaisant le geste du don de soi que rien ne peut détruire. Même quand je ne peux plus aller rejoindre la communauté pour la prière, Dieu reste présent, comme s. Augustin l’a écrit : « dans mon intérieur le plus profond. » Même si je me sens très seul, je ne suis pas seul, car au cœur de mon être le plus profond, il y a l’Autre. »
Timothy Radcliffe, l’ancien Maître de l’Ordre dominicain.
Traduction de l’anglais : fr Viktor Hofstetter, op
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Bonne Crise et Avant même que Philippe ne t'appelle
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