L'en-haut et l'en-bas

L'homélie du frère Philippe-Emmanuel Rausis pour la fête de la Présentation du Seigneur

Ml 3,1-4 / Ps 23 / He 2,14-18 / Lc 2,22-40

Aujourd’hui le Dieu d’Israël entre dans le Temple de Jérusalem. Selon la vision du prophète Ézéchiel : « La Gloire de Yahvé entra dans le Temple par la porte de l’est et voici qu’elle emplissait la maison » (Ez 43,4). C’est à cette porte que se tient Syméon, lui à qui l’Esprit avait promis qu’il ne mourrait pas sans avoir vu se réaliser cela sous ses yeux. « Il attendait la Consolation d’Israël et l’Esprit Saint était sur lui. » Ce vénérable vieillard incarne l’ensemble du peuple d’Israël. Il est juste, c’est-à-dire intimement uni aux mystérieuses vues de l’Éternel. Comme les prêtres et les scribes qui accueilleront Jésus au Temple quelques treize ans plus tard, ce vénérable vieillard est ébloui par la lumière qui luit dans le cœur de cet enfant et s’apprête à gagner les horizons. « Mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël » (Lc 2,32). Il le sait, telle est l’intention du Très-Haut : illuminer le monde à partir du Soleil de Justice qui se lève au sein de son peuple Israël et illuminera toutes les nations.

Mais cette gloire ne se manifeste pas de manière à attirer les regards ; c’est dans la personne d’un petit enfant, né huit jours auparavant, qu’elle se dévoile aux yeux de la foi. En même temps que Jésus, deux petites colombes sont présentées au Tout-Puissant, selon l’usage en cours. Ne semble-t-il pas que, dans leur blancheur, ces deux colombes symbolisent l’âme de Marie et de Joseph qui n’ont pas encore fini de réaliser ce qui leur arrive ? Mais, sur l’autel du Temple, les deux colombes seront sacrifiées : beaucoup de souffrance les attend en chemin, et la Vierge verra son cœur transpercé par une épée, selon les paroles de Syméon le Juste. Jésus est venu leur enseigner que le chemin de la gloire est aussi celui de la croix.

Mais ce jour n’est pas à la lamentation. C’est dans la liesse que les parents de l’enfant – ainsi que les premiers témoins de cet avènement – franchissent le seuil de ce sanctuaire qui préfigure déjà le Saint Palais de Gloire : celui qui n’est pas fait de mains d’hommes et où le Christ, Grand Prêtre devant l’Éternel, pénétrera pour opérer le salut du monde entier. « Soudain, il viendra dans le Temple le Seigneur que vous cherchez », annonce à son tour Malachie, dans la lecture qui vient de nous en être faite. Notons que sa manifestation n’aura pas lieu dans un endroit quelconque : c’est dans le Temple, c’est-à-dire dans un lieu pur et consacré, que le Seigneur montrera sa puissance. Or, ce lieu est terrible : il n’est rien d’autre que la demeure de Dieu et la porte du ciel : terribilis est locus iste : hic domus Dei est et porta caeli. « Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? » (Ml 3,2).

Ce temple, c’est le monde entier purifié par le Précieux Sang du Rédempteur. Il s’élève sur terre, mais il appartient au ciel. C’est l’en-haut qui nous est déjà indiqué sous ce signe. On ne s’approche pas de Dieu sans trembler, puisqu’il est la source même de notre être et que, sans lui, nous ne sommes que néant. La venue du Seigneur est redoutable : elle éveille cette crainte sacrée de l’homme qui s’ébahit devant la majesté divine et réalise ainsi sa propre insignifiance. La manifestation de la gloire nous éblouit et, en nous aveuglant, nous plonge momentanément dans les ténèbres. C’est donc l’expérience de l’en-bas qui est première : celle de notre propre misère. Il faut passer par l’en-bas avant d’oser se tourner vers l’en-haut. Il faut toucher le fond, pour remonter à la surface. C’est ce que nous faisons au cours de l’eucharistie : nous commençons par un acte de contrition et la confession de nos péchés, avant de nous approcher de l’autel des Saints Mystères.

Et le Messie de Dieu – lui qui est pareil au feu du fondeur et semblable à la lessive des blanchisseurs – nous purifie par sa présence. Il nous affine comme on affine l’or et l’argent, afin que nous puissions présenter, aux yeux du Seigneur, l’offrande en toute justice. C’est un alchimiste que le Seigneur : de notre matière la plus vile, il tire l’or le plus pur. « Du rocher le plus dur tu fais naître la fleur, et l’amour le plus pur du tréfonds de nos cœurs. » Mais cela ne peut se réaliser que dans l’athanor de la rédemption, le four chauffé à blanc où nos scories seront brûlées. Tout ce qui est prisonnier de l’en-bas, le Christ veut le libérer de sa gangue et l’acheminer vers l’en-haut. Avant de remonter vers les parvis du ciel, il est descendu aux enfers, c’est-à-dire au fond de notre misère. « Et celui qui est descendu est le même que celui qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir l’univers » (Ep 4,10).

« Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles : qu’il entre, le roi de gloire ! » Ces portes sont, bien sûr, celles du Royaume ; mais le Royaume n’est-il pas au milieu de nous ? Puisque nous portons en nous le Paradis ! « En vérité – écrit saint Irénée – Dieu s’est fait fils d’homme pour habituer l’homme à recevoir Dieu et pour habituer Dieu à habiter en nous. Jésus ne nous voit pas en dehors du paradis : il nous considère comme son paradis aujourd’hui, sur la terre. » Ces portes éternelles, c’est donc en nous qu’elles doivent lever leur fronton : elles sont celles de nos cœurs contrits. Haut les cœurs ! donc, pour accueillir celui qui vient nous libérer des enfers et nous élever vers les portiques du ciel.

En ce temple de chair, le Roi des rois et Seigneur des seigneurs est institué Grand Prêtre par le Père éternel et obtient de lui notre salut. « Par sa mort, il a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves » (He 2,15). Oui, c’est la crainte de la mort qui nous prend à la gorge et nous incline vers le bas, alors que Dieu nous a créés pour que notre regard soit tendu vers le ciel. C’est l’aiguillon de la mort qui transperce notre conscience et nous remplit d’effroi. Le spectre de la mort est grimaçant : ses pouvoirs paraissent invincibles et nous dominent de toute leur puissance. Mais, comme le disait très joliment Étienne de La Boétie, en parlant de ses contempteurs : « Ils ne sont grands que lorsque nous sommes à genoux devant eux. »

Pour nous libérer de ce joug, pour mener à bien cette œuvre hautement sacerdotale, il fallait d’abord que « le Christ se rende en tout semblable à ses frères, afin de devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi » (He 2,17). Cela impliquait qu’il s’incline lui-même, en passant sous les voûtes de la création, qu’il devienne lui-même une créature mortelle, pour qu’il puisse porter sur la terre – selon son ardent désir (Lc 12,49) – ce feu qui est capable de tout transformer en lumière. S’étant abaissé, il sera élevé. Voilà sa divine liturgie !

« Et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion, il est désormais capable de porter secours à tous ceux qui subissent la même épreuve » et qui, sans lui, n’auraient pas la force de s’en sortir. Au jour du salut, Jésus manifeste sa gloire dans le Temple inondé de lumière ; mais, pour que cela lui soit donné, le Rédempteur devra, en premier lieu, se rabaisser au niveau de notre condition, en faire son épouse bien-aimée, afin qu’en lui-même, ce soit notre propre chair qui soit transmutée, comme l’or au creuset de son Cœur brûlant d’amour.

« Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël », annonce Syméon, inspiré par l’Esprit. La chute et le relèvement, c’est le passage par l’en-bas et par l’en-haut, par les abîmes de la mort et les sommets de la gloire, pour que l’action de Dieu gagne tous les recoins de l’univers, qu’elle embrase toute chose et que rien ne demeure prisonnier de l’ombre et du frisson qu’elle engendre en nous. Voilà ce que l’enfant Jésus – l’infans : c’est-à-dire, selon la racine latine, « celui qui n’a pas encore accès à la parole » –, voilà ce qu’il proclame sans un mot, par le mystère de sa sainte présence. « Pas de paroles dans ce message, pas de voix qui s’entende, mais sur toute la terre en résonne l’annonce » (Ps 18,4). Cette présence majestueuse irradie les yeux de Syméon et ceux de la prophétesse Anne ; elle délie les langues afin que celles-ci le précèdent dans l’annonce du Verbe de feu qui ne cessera de fuser, lorsque le Messie sortira de son silence et qu’il s’avancera sur les chemins de notre terre. Une Terre Sainte qui devient, au fur et à mesure de sa progression parmi nous, le Temple glorieux où sont chantées les louanges de Dieu et où se réalise le grand miracle du relèvement.

Syméon et Anne dans le Temple, Rembrandt van Rijn. Domaine public.

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