Le Temple de l'Univers
Ne 8,2-10 / Ps 18 / 1 Co 12,12-30 / Lc 1,1-4 - 4,14-21
Ce passage du Livre de Néhémie (Ne 8,2-10), dont on vient de nous faire la lecture, se situe à un moment extrêmement important de l'histoire du peuple d'Israël : la fin de leur exil à Babylone. Nous sommes en l'an 538 avant Jésus-Christ. Après une déportation massive qui avait duré près de 60 ans – c'est plus que l'espérance de vie d'un homme à cette époque – les habitants de Judée et de Samarie furent autorisés à rentrer chez eux afin de reconstruire Jérusalem et de relever le Temple de ses ruines. La Bible dit que 40 000 hommes, femmes et enfants bénéficièrent de cet indult de l'empereur Cyrus, qui venait lui-même d'assujettir les Babyloniens. C'est donc un temps de liesse que celui-là, « une année favorable accordée par le Seigneur » (Lc 4,19), selon les mots utilisés par Jésus à la synagogue de Nazareth.
Le Temple est le symbole de la religion juive : puisque Dieu est unique, il est naturel qu'il manifeste sa gloire en un lieu unique. Mais le Temple se divise en trois parvis : ulam (le parvis des Gentils), hekal (le parvis des Juifs) et debir (le parvis des Prêtres). Quelque deux mille ans après Salomon, on retrouve la même structure tripartite dans nos vieilles églises romanes. Nous l'avons déjà commenté antérieurement : le premier parvis se nomme le nartex. Il est réservé à ceux qui n'ont pas encore reçu le baptême. Ensuite, la nef est le parvis des fidèles : ceux qui participent au sacrement du Corps et du Sang du Christ. Puis vient le chœur, où les ministres consacrés offrent le sacrifice au nom du peuple entier. Retenons de tout cela que l'espace sacré offre ainsi l'image d'une progression vers Dieu, marquée par différents degrés.
Mais quel est le rapport entre tout cela et la lettre de saint Paul aux Corinthiens que nous avons entendue et qui décrit la complémentarité entre les différents organes du corps (cf. 1 Co 12,12-17) ? Ce rapport devient évident si nous nous souvenons que, dorénavant, le Temple, c'est nous-mêmes en tant qu'Église du Seigneur, en tant que pierres vivantes d'un édifice spirituel que nous formons en étant en communion les uns avec les autres. Les rites que nous pratiquons se déroulent, eux aussi, dans un temple. Mais cette fois-ci, ce temple est avant tout le corps que nous formons : l'Église ou l'assemblée des saints. Et ce sanctuaire n'est autre que le Corps du Christ lui-même. Pour mener à bien sa propre initiation, le chrétien doit, comme les païens d'autrefois, pénétrer dans le “temple des Mystères”. Mais pour lui, cela signifie s'incorporer au Christ, ce qui s'opère grâce aux sacrements, en particulier le baptême et l'eucharistie.
Cette semaine, nous avons prié pour l'unité des chrétiens. On comprend le scandale que représentent, aux yeux du monde, les scissions qui se sont immiscées entre nous. Pour reprendre l'image de Paul, c'est comme si le pied disait à la main : « Tu n'es pas comme moi, donc tu ne fais pas partie du corps », ou si la bouche disait à l'œil : « Tu ne me ressembles pas, donc tu ne fais pas partie du corps. » C'est ainsi, selon saint Jacques, que la guerre a éclaté entre nous : « D'où viennent les batailles entre vous ? N'est-ce pas de ces passions qui combattent dans vos propres membres ? » (Jc 4,1).
À l'image du Temple de Salomon, l'Église dispose de plusieurs parvis. Il y a plusieurs Églises dans notre Sainte Église. Non seulement les différentes Églises qui existent à travers le monde et qui ont toutes leur identité et leur manière de faire face à l'histoire, aussi bien en Orient qu'en Occident, mais aussi les multiples visages d'une Église qui accueille en son sein l'immense diversité des êtres humains. De la même manière qu'il y a de nombreuses demeures dans la maison du Père (Jn 14,2), il y a aussi, sur la terre, d'innombrables manières de demeurer en Dieu.
Il y a, d'abord, l'Église qu'on nomme triomphante, même si son triomphe est souvent invisible. Elle constitue le cœur ardent de la grande Église. C'est l'Église qui prie, qui se tient debout ou à genoux dans le chœur, tout près de l'autel du Seigneur. C'est par le feu ardent de sa charité que toute l'Église est irradiée. C'est l'Église des témoins : celle des martyrs et des docteurs, des consacrés, des prophètes et des saints, même anonymes.
Et puis, il y a l'Église dite militante. C'est l'Église qui peine et qui se bat pour survivre. L'Église qui, cent fois, remet son ouvrage sur le métier et qui ne se lasse jamais de tisser des liens entre ses enfants : “religare”, comme on dit en latin. C'est l'Église qui maintient le guet, au milieu des tourmentes ; l'Église ballottée et qui, bien sûr, a parfois mal au cœur, lorsque la mer est grosse, tels les apôtres sur le lac. L'Église qui persévère, contre vents et marées, et dont les membres se tiennent sur le pont. L'Église du courage...
Enfin, il y a aussi l'Église souffrante. Mais la véritable Église souffrante : celle qui souffre d'être éloignée de Dieu, de ne plus savoir comment le retrouver, celle qui s'est peut-être lassée de prier ou qui s'est laissée gagner par l'esprit d'indifférence ; celle qui, dans les épreuves, a perdu la confiance. L'Église qui se débat et cherche son chemin au milieu des ténèbres. L'Église qui ne sait même plus qu'elle est l'Église, mais qui tient, elle aussi, sur les ailes de notre humble prière...
N'est-il pas bouleversant de voir qu'au Temple, Jésus enseignait toujours dans le parvis le plus extérieur : celui des Gentils ? Lui, le grand Prêtre par excellence, lui, le Saint des saints, aimait à se tenir là, parmi les gens qui allaient et venaient, ceux qui n'étaient peut-être pas dignes d'entrer plus avant dans le sanctuaire. Quelle leçon pour chacun d'entre nous ! Si nous avons un accès aux saints mystères, c'est pour en être les témoins dans un monde qui en a tant besoin et qui cherche la lumière. Non pas pour nous revêtir de la toge de l'importance, mais plutôt du tablier du service, à l'image du Christ, ceint d'une serviette et lavant les pieds de ses frères (cf. Jn 13,2-5).
Le Christ est notre Soleil et, autour de lui, tournent de nombreuses planètes. Certaines sont si proches de lui qu'elles partagent sa lumière et sa chaleur. D'autres, au contraire, sont tellement éloignées qu'elles tournent dans le froid et dans l'obscurité. D'autres encore sont semblables à notre vieille terre, où se succèdent les saisons torrides et glaciales, les heures où l'on partage la joie de la proximité et celles où l'on porte la peine de l'éloignement. Mais toutes ces planètes font partie du même système solaire ; toutes se meuvent dans le champ d'attraction du même Roi qui ne lâche pas un seul de ses frères. Tous ces hommes, toutes ces femmes, où qu'ils se trouvent, composent l'Église une et indivise : celle pour qui le Christ est venu jusqu'à nous, nous a aimés et a donné sa vie.
Devenir le temple du Seigneur, le lieu saint où prend source ce fleuve de grâce qui cherche à inonder la terre entière : voilà notre mission en ce monde désertifié. Faire corps avec l'humanité, avec un peuple dont personne n'est exclu, puisqu'il est le peuple de Dieu et que Dieu est le Père de tous. Et être, dans ce corps, l'endroit privilégié où l'Église prend enfin conscience de ce qu'elle est. Voilà la tâche qui nous incombe.
Car ce corps que nous formons n'annule pas seulement les distances entre les hommes du monde entier : il transcende le temps lui-même et fait de chacun d'entre nous un contemporain de Jésus, toujours présent en ce Temple aux dimensions de l'univers. Et cet “aujourd'hui” que mentionne Jésus – en affirmant qu'aujourd'hui même s'accomplissent les Écritures – cet aujourd'hui est aussi le nôtre, celui de chacun de ceux qui entendent sa parole et agissent selon sa volonté. Dans ce corps souverain – que saint Paul nomme “la pleine stature du Christ” (Ep 4,13) – il revient à chacun d'assumer sa propre part du mystère de l'Incarnation. Et cela passe aussi à travers nous : nous y sommes convoqués pour le salut du monde et pour la gloire de Dieu.

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