Le don de force

Une réflexion du frère Philippe-Emmanuel Rausis pour le 1er dimanche de l'Avent

Jr 33,14-16 / Ps 24 / 1 Th 3,12-4,2 / Lc 21,25-36

L'idée de force et de puissance est sous-jacente à plusieurs passages de nos lectures d'aujourd'hui. D'abord dans cette injonction de saint Paul : « Que le Seigneur affermisse vos cœurs ! » (1 Th 3,13), et puis cet avertissement de Jésus lui-même, noté par saint Luc : « Redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s'appesantisse » ; et encore celui-ci : « Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant Dieu » (Lc 21,34-36). Et enfin, cette annonce toute remplie d’espérance : « On verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire » (Lc 21,27).

Il est fréquent qu'on nous entretienne au sujet des autres vertus cardinales – de la justice, de la prudence ou de la tempérance –, mais il est beaucoup plus rare qu'on nous parle de cette vertu essentielle pour demeurer chrétiens dans le monde où nous vivons : la vertu de force.

On connaît cette image allégorique où la force est figurée sous les traits d’une femme qui, par sa simple présence et sans fournir le moindre effort, tient en respect un lion prostré à ses pieds. Mais pourquoi donc une femme ? Alors que, spontanément, on a plutôt tendance à considérer la force comme une vertu masculine... Oui, c'est peut-être vrai de la force physique, mais c'est beaucoup plus douteux si l'on pense à la force d'âme. Il a été prouvé, par exemple, que dans les camps de concentration, les femmes étaient capables d'une résistance supérieure à celle des hommes.

Mais nous parlons ici d'une allégorie, c'est-à-dire d'une figure symbolique qui n'appartient ni au sexe masculin, ni au sexe féminin. Or, quel est donc, pour la foi, ce personnage qui manifeste, en même temps, l’essence féminine dans sa pleine disponibilité à une volonté supérieure et l’essence masculine en sa capacité de faire preuve d'une grande force ? Ne serait-ce pas celle de l'ange qui justement n’est ni homme ni femme ? L’ange qui personnifie une indéfectible union au ciel et, en même temps, une intense présence au monde, afin d’y faire briller les desseins du Très-Haut. L’ange est le témoin de la force véritable : celle qui ne procède pas d’un pouvoir personnel, mais qui se manifeste en vertu d’une pleine disposition à être mû par une puissance infiniment supérieure à la sienne.

La leçon est claire : l’attitude la plus forte n’est pas celle qui cherche à vaincre son adversaire, mais celle qui, sans perdre son calme, trouve le moyen d’éviter le conflit et d’éveiller en chacun le souffle et le désir de la paix. On dit que saint Nicolas de Flüe avait ce charisme-là. Il lui est arrivé, au milieu d’un champ de bataille, de congédier les deux armées ennemies par la persuasion de sa parole et par la paix qui régnait en son cœur. Voilà la véritable force tranquille, celle qui ne naît pas de la terre mais du ciel.

C’est pourquoi, cette force est intimement liée à la virginité, dans le sens où la virginité est cette complète soumission au Saint Désir de Dieu, cette capacité de vivre en harmonie avec lui, de se laisser transformer par lui et de coopérer avec lui. C’est elle, en vérité, la force forte de toute force: totius fortitudinis fortitudo fortis. C’est elle qui se manifeste dans les petits miracles de chaque jour par lesquels la face de la terre est constamment renouvelée. Demandons-le, de tout notre cœur, ce don magnifique entre tous, afin d’être des chrétiens debout, dignes du Roi que nous servons.

Car il existe une forme édulcorée du christianisme qui n’est basée que sur l’idée d’une pâle douceur. C’est ce genre d’attitude qui a fait dire à des penseurs comme Nietzsche que le christianisme est la religion des faibles. Bien entendu, c’est un mensonge ! Il suffit d’avoir lu une seule page sur la passion des martyrs ou sur l’audace des missionnaires pour s’en rendre compte. Cependant, nous devons être attentifs à cette critique et veiller, jour et nuit, à ne pas la mériter, à cause de notre relâchement.

Bien sûr, les conditions dans lesquelles nous nous débattons pour continuer à exister sont loin d’être aisées. Mais notre manière d’être ne contribue pas toujours à améliorer cette situation. Sommes-nous capables de nous montrer à la hauteur, en résistant au courant descendant d’un monde qui court à sa propre perte ? D’être les hérauts de Jésus-Christ et de nous revêtir des armes du salut ? Certes, le combat nous a peut-être épuisés et nous voici gagnés par la lassitude. Ou alors, nous nous sommes tant battus, que nous ployons sous le nombre de nos blessures. Mais comme disait Djalâl ad-Dîn Rûmî : « Nos blessures sont ces ouvertures par lesquelles la lumière pénètre en nous. » C’est ainsi que nous aurons la force d’être des guerriers de la lumière sans fin.

Je me souviens de mon père spirituel qui me disait, il y a bien des années : « Ne t’imagine pas que tu as le pouvoir de repousser le mal ; cela nous est impossible : nous en sommes incapables. En revanche, ce que nous pouvons faire, c’est établir notre refuge en Dieu et, alors, le mal s’éloignera de nous, comme la nuit qui fuit en présence de la lumière. » Nos fautes sont plus fortes que nous, Seigneur, mais ta lumière les efface ! Par conséquent, la force dont nous parlons n’a rien à voir avec celle que fomentent les hommes avides de pouvoir. Ce n’est pas par la violence, mais par la douceur que l’on vient à bout de la violence. Et, en ces temps qui sont les derniers, l’homme a besoin, plus que jamais, du secours de cette force-là, afin de poursuivre cette guerre qui ne se remporte qu’avec des fleurs et des chants, comme l’affirmaient les Indiens ñañus.

Conscients de nos pauvres moyens, nous avons trop vite tendance à nous décourager. Alors, à l’instar du prophète Jérémie, nous entendons la voix du Seigneur : « Ne dis pas “je suis un enfant” ! Car tu iras vers tous ceux auprès de qui je t’enverrai, et tu diras tout ce que je t’ordonnerai. Ne les crains point, car je suis avec toi pour te délivrer ! » (Jr 1,7). Et cet appel qui nous est adressé vient toujours assorti des grâces nécessaires pour accomplir notre mission, en tant que témoins du Ressuscité. « Qu’importe orage et noire bise, puisqu’en ton cœur brûle un soleil ! »

Oui, au cœur de notre être, resplendit le feu de l’amour divin pour lequel il n’est rien d’impossible. L’homme qui vit, en sa propre chair, cette prise de conscience est appelé à participer à l’œuvre immense de la transfiguration de l’univers, inaugurée et menée à son terme en la personne de Jésus-Christ. Cette force qui gît en nous, Dieu l’y a mise en même temps que son souffle divin. Elle est un peu semblable à l’énergie nucléaire… On sait que l’énergie contenue en chacun de nos atomes serait capable d’anéantir des villes entières. Mais cette puissance-là – qui est une ardeur spirituelle – est capable, au contraire, de relever les demeures écroulées et de replanter les jardins dévastés. « Je puis tout en celui qui me rend fort » (Ph 4,13).

Cette force inouïe est celle que nourrit la flamme de l’espérance. Celui qui est habité par cette flamme ne se décourage pas devant les obstacles. Il ne renonce jamais à croire qu’il existe un moyen de sauver l’homme de son naufrage. Cette espérance est la noblesse du chrétien qui prend conscience de son destin royal. Nous oublions trop souvent que cette dignité nous a été conférée dans les eaux du baptême ! Alors, comme le dit Rilke : « Ne jamais perdre le sens du large », ouvrir amplement nos horizons, car si la vie est courte, elle est cependant si large… Le devoir nous est fait d’incarner ce que nous avons reçu, de redresser la tête et d’affermir nos cœurs ; de nous tenir, contre vents et marées, sous les couleurs de l’espérance. Puisqu’en vérité notre vocation est d’être, au milieu d’un monde en pleurs et en souffrances, les signes vivants de cette puissance amoureuse par laquelle le Christ peut faire toute chose nouvelle.


Le frère Philippe-Emmanuel Rausis, de notre Vicariat, est dominicain depuis 1986. Après un long séjour au Mexique, il est, depuis cinq ans, aumônier du monastère des soeurs de Bethléem, dans le massif des Voirons (Haute-Savoie).

Cette image a été créée avec l'aide de DALL·E

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