La présence dominicaine en Inde est aussi ancienne que l'Ordre
Le frère John Paul Thomas est récemment arrivé à Fribourg en provenance de l'Inde pour poursuivre un doctorat en théologie à l'Université. Mais ce n'est pas la première fois qu'il vient chez nous. Il était ici pour poursuivre un master et une licence en théologie dogmatique entre 2014 et 2018, et il a passé les années suivantes à enseigner au séminaire Saint-Charles, qui n'est pas un Studentat dominicain, bien que des frères dominicains y étudient ; il s'agit d'un centre de formation pour les étudiants des diocèses du nord de l'Inde.
Le frère John Paul représente une partie de notre Ordre qui croît et s'étend de manière dynamique. Nous sommes heureux qu'il ait trouvé le temps de nous accorder cette interview :
La rédaction : Frère John Paul Thomas, bonjour ! Et bienvenue à Fribourg.
Frère John Paul Thomas : Bonjour. Merci.
Réd. : Même si nous nous connaissons depuis des années, je ne t'ai jamais demandé d'où tu venais en Inde ?
JPT : Je viens de l'état du Kerala, qui est situé à l'extrême sud de l'Inde.
Réd. : Est-ce un état traditionnellement catholique ?
JPT : Eh bien, le christianisme est la troisième religion pratiquée au Kerala, avec environ 18 % de la population. Ce que nous appelons les « chrétiens de Saint Thomas » – y compris les différents rites catholiques orientaux et orthodoxes orientaux – constituent environ 70 % de ce groupe, suivis par les catholiques latins à environ 13 %. Certains des « chrétiens de Saint Thomas » sont en communion avec le pape, d'autres non. Je viens d'une famille catholique traditionnelle qui appartient à un rite catholique oriental appelé syro-malabar. Ma famille est catholique depuis plusieurs générations.
Réd. : Et la langue parlée à la maison ?
JPT : À la maison, je parle le malayalam, la langue officielle de l'État du Kerala. Elle est parlée par environ 40 millions de personnes. Mais ce n'est qu'une des 22 langues officielles reconnues par la Constitution indienne. N'oublie pas que l'Inde compte plus d'un milliard quatre cent millions d'habitants.
Réd. : Nous avons du mal à nous imaginer cela ici, dans notre petite Suisse...
JPT : (rires) Je suppose !
Les chrétiens ne représentent que 2,3 % de la population totale, soit environ 28 ou 30 millions de personnes. Mais l'impact de l'engagement pastoral et social des chrétiens dans divers domaines est énorme.
Réd. : Mais si tu viens d'un foyer catholique oriental, comment es-tu entré en contact avec les Dominicains ?
JPT : J'ai connu les Dominicains par l'intermédiaire d'une communauté dominicaine, « Saint Martin's Ashram », située au Kerala, près de ma ville natale. J'ai été particulièrement attiré par le charisme de la prédication pour le salut des âmes et l'accent mis sur l'étude de la Parole. La tradition intellectuelle sérieuse de l'Ordre a été comme un aimant pour moi.
Réd. : Tu t'y connais en matière de vie universitaire, non seulement grâce à tes expériences en Inde mais aussi dans notre pays...
JPT : C'est exact. J'ai déjà passé quatre ans à Fribourg. J'ai été ordonné au cours de l'année 2013, puis, après une année de mon ministère pastoral dans la paroisse Saint-Dominique à Delhi, j'ai été envoyé à Fribourg pour poursuivre mon master et ma licence en théologie dogmatique. C'était en 2014-2018.
Réd : Es-tu content d'être de retour ?
JPT : Oui. Je garde de bons souvenirs de mon séjour dans ce beau pays. Tout d'abord, grâce à la générosité de la province suisse, j'ai eu le privilège de vivre dans une communauté dominicaine dynamique au Couvent St-Hyacinthe, où j'ai pu vivre avec des frères de différentes parties du monde. Cette expérience n'est pas vraiment possible en Inde. Je dois dire que j’ai une grande reconnaissance envers les frères de la province suisse pour leur soutien et leurs encouragements.
Ensuite, j'ai également eu la chance de bénéficier d'une solide formation théologique dans la tradition intellectuelle dominicaine à la faculté de théologie de l'université de Fribourg. Je dois beaucoup aux frères dominicains qui ont été mes enseignants à la faculté, et je dois faire une mention spéciale au frère Gilles Emery, qui est maintenant retraité de l'enseignement. Il m'a patiemment guidé et formé pendant ces quatre années d'études. C'est en effet un grand apprentissage que d'avoir travaillé sous sa direction.
Réd. : Que faisais-tu pendant ces années d'absence ?
JPT : Pendant cinq ans, j'ai enseigné au Grand Séminaire Saint-Charles, qui se trouve à Nagpur. En fait, j'étais le doyen du département de théologie et aussi le vice-recteur du séminaire.
Réd : Ça alors ! Je vois que ta formation fribourgeoise t'a bien servi.
JPT : (rires) On peut le dire. Aujourd'hui de retour à Fribourg, j'espère mettre à profit ce que j'ai déjà appris lors de mon précédent séjour.
Réd. : Bon, tu es venu pour commencer à travailler sur ta thèse de doctorat. As-tu une idée du sujet que tu vas traiter ?
JPT : Je m'intéresse particulièrement à la christologie de saint Thomas d'Aquin. En un sens, mon projet de doctorat est une continuation de ce que j'ai étudié pendant mon master et ma licence. Je travaille avec le frère Emmanuel Durand, qui enseigne la christologie à l'université. Le titre provisoire de mon projet est : « La médiation du Christ chez Saint Thomas d’Aquin : ses sources et sa pertinence ».
Réd. : J'imagine que tu continueras à travailler à la formation de tes frères lorsque tu rentreras.
JPT : Très probablement, oui.
Réd. : Comment se développe la province dominicaine de l'Inde ?
JPT : Eh bien, ces dernières années, nous avons connu une vague de vocations, les chiffres les plus élevés depuis l'érection de notre province en 1997.
Réd. : C'est une très jeune province.
JPT : Oui, mais ce que beaucoup ne réalisent pas, c'est que la présence dominicaine en Inde est en fait aussi ancienne que l'Ordre. Pour n'en citer que quelques-uns, le frère Nicholas Pistoia de la province romaine est arrivé en Inde en 1291. Il a prêché l'évangile dans le sud de l'Inde. Ensuite, Jordan de Severac, un dominicain ibérique, est venu en Inde vers 1321. Il a été nommé évêque du diocèse de Quilon, le premier diocèse catholique romain du sous-continent indien.
Réd. : Honnêtement, je ne savais pas qu'il y avait des racines aussi anciennes.
JPT : Il y a eu des hauts et des bas, bien sûr. Au milieu du XVIe siècle, le nombre de frères dominicains portugais a franchi la barre des 300. Les Dominicains avaient même une université à Goa. Malheureusement, la suppression des ordres religieux dans l'empire portugais en 1835 a entraîné la fermeture des couvents et la dispersion des frères. Cela a donc effectivement mis fin à la présence dominicaine qui s'était étendue sur plus de trois siècles.
La vie de l'Église catholique n'a jamais été facile en Inde. En ce moment, nous assistons à une montée des politiques nationalistes et populistes, centrées sur une certaine version de l'identité hindoue. C'est bien sûr un défi à relever.
Réd. : Alors comment notre présence a-t-elle été renouvelée ?
JPT : En fait, c'est un évêque local qui l'a proposé, et la raison de ce renouvellement concernait explicitement la vie intellectuelle. L'actuelle province dominicaine d'Inde est née d'une invitation lancée par l'archevêque de Nagpur à la province dominicaine irlandaise en 1959. Il a demandé aux frères irlandais de superviser la formation des prêtres missionnaires au séminaire Saint-Charles de Nagpur. La présence des pères irlandais à Nagpur a ensuite attiré l'attention de nombreux jeunes aspirants à l'Ordre. Cela a conduit à l'établissement d'une maison de noviciat à Pachmari en 1967. La graine qui y a été plantée s'est transformée en vice-province en 1987 et en province en 1997.
Réd. : Parce que votre nombre ne cessait d'augmenter.
JPT : Précisément. À l'heure actuelle, nous avons environ 18 communautés, dont 4 couvents, totalisant environ 160 frères. Par la grâce de Dieu, nous avons eu la chance d'avoir de bonnes vocations ces dernières années. Elles viennent de toute l'Inde, mais naturellement la majorité des vocations viennent du sud de l'Inde, où la présence chrétienne est plus importante.
Réd. : Alors, que font tous ces frères ?
JPT : Eh bien, en ce qui concerne l'apostolat, les frères s'engagent dans un large éventail d'activités : formation au séminaire, centres de retraite, centres de spiritualité, écoles, missions paroissiales, évangélisation en ligne, etc. Tu as peut-être entendu parler de la « Dominican Media Mission » ?
Réd. : Oui, c'est une chaîne YouTube incroyable dans son ampleur – près de 2500 vidéos avec des commentaires sur les évangiles et les lectures du jour. J'invite nos lecteurs à y jeter un coup d'œil…
JPT : Et ce n'est que l'un de nos projets. Personnellement, j'ai été témoin d'une croissance constante de la présence dominicaine en Inde au cours des 20 dernières années. Nous avons également pu étendre nos missions à diverses régions de l'Inde. Avec de plus en plus de jeunes hommes qualifiés qui aspirent à devenir dominicains, je peux dire que l'avenir de l'Ordre en Inde semble vraiment prometteur.
Réd. : C'est une bonne nouvelle pour l'année. Mais les chrétiens ne sont-ils pas persécutés en Inde ?
JPT : La vie de l'Église catholique n'a jamais été facile en Inde. En ce moment, nous assistons à une montée des politiques nationalistes et populistes, centrées sur une certaine version de l'identité hindoue. C'est bien sûr un défi à relever.
Réd. : Le gouvernement est-il derrière tout cela ?
JPT : C'est compliqué. La montée de l'intolérance et de la violence contre les minorités s'accompagne souvent du soutien tacite du gouvernement. C'est particulièrement vrai lorsqu'on considère la violence à l'encontre des chrétiens tribaux, qui est très préoccupante.
Réd. : Les chrétiens « tribaux » sont ceux qui vivent dans les sociétés rurales traditionnelles ?
JPT : En gros, oui. Ils sont plus pauvres et donc plus vulnérables. Mais la mise en œuvre de l'idéologie dite « Hindutva » ces dernières années par le régime populiste est dangereuse pour tous. Elle se traduit par une persécution des minorités et une violation flagrante des droits de l'homme. Récemment, pour te donner un exemple, nous avons assisté à des attaques violentes et coordonnées contre les églises et les institutions de l'Église dans l'État de Manipur. C'est une situation sans précédent.
Réd : Ne pouvez-vous pas faire appel aux tribunaux ?
JPT : Nous devrions pouvoir le faire, mais c'est encore une fois compliqué. Bien que la constitution indienne garantisse l'égalité devant la loi et l'égalité des chances pour tous, les chrétiens sont malheureusement confrontés à des discriminations dans de nombreux domaines. Alors que le droit de pratiquer, de professer et de propager sa foi est un droit fondamental de chaque citoyen selon la Constitution, l'utilisation abusive des lois anti-conversion ou anti-prosélytisme dans certains états entrave les engagements pastoraux et la diffusion des programmes de l'Église. Il y a également eu des campagnes de propagande accusant l'Église d'orchestrer des conversions forcées. Cela a créé une atmosphère tendue qui est franchement dangereuse.
Réd. : Quels sont tes espoirs pour l'avenir dans ce contexte complexe ?
JPT : Eh bien, cela va peut-être te surprendre, mais je suis vraiment optimiste pour l'avenir (rires). J'espère pouvoir contribuer au bien de l'Ordre et de l'Église en Inde, notamment dans le domaine de la formation et de l'enseignement de la théologie.
Réd. : Je suppose que le grand nombre de vocations renforce ton espoir ?
JPT : Oui, absolument. En ce qui concerne l'avenir de l'Ordre en Inde, nous constatons une forte augmentation du nombre de jeunes hommes motivés qui veulent devenir frères dominicains. Je pense que c'est effectivement un bon signe et que nous, en tant que Dominicains en Inde, serons en mesure d'étendre nos missions aux diocèses et aux régions où nous ne sommes pas encore allés pour prêcher, enseigner et vivre en tant que témoins de l'Évangile à la manière dominicaine.
Réd : Penses-tu que certains de ces jeunes frères seront envoyés dans des pays occidentaux après leur ordination ?
JPT : Peut-être. Mais il y a tant à faire chez nous. Comme tu le sais, l'Inde est un pays massif de par sa taille et sa population. Les chrétiens ne représentent que 2,3 % de la population totale, soit environ 28 ou 30 millions de personnes. Mais l'impact de l'engagement pastoral et social des chrétiens dans divers domaines – comme l'éducation, le service social, les soins de santé – est énorme. Tous ces projets caritatifs doivent être soutenus, bien sûr.
Réd : Bien sûr.
JPT : Pour mettre les choses en perspective, rien que dans le domaine de l'éducation, il y a environ 55’000 institutions éducatives gérées par l'Église. Heureusement, grâce à ces établissements, l'Église est en mesure d'atteindre une grande partie de la population très jeune pour planter les graines de l'Évangile et instiller dans leur esprit les valeurs de l'Évangile.
Réd. : L'ampleur de vos apostolats est vraiment énorme, surtout d'un point de vue européen…
JPT : Eh bien, il est évident qu'en tant que jeune province en pleine croissance, nous nous concentrons avant tout sur l'Inde. Mais nous sommes conscients de la situation en Occident. Nous avons déjà des collaborations avec diverses provinces et entités de notre Ordre comme la Belgique, le Canada, l'Italie et la Suisse. Je ne suis pas le prieur provincial, bien sûr (rires). Mais je pense que l'on peut dire sans risque que les frères en Inde attendent avec impatience toute collaboration de ce type avec d'autres provinces si cela sert le bien-être et le bien commun de notre Ordre.
Réd : La croissance chez vous, le rayonnement à l'étranger. C'est édifiant à entendre.
JPT : (rires) Pour moi, cela signifie simplement une énorme quantité de travail.
Réd. : Oui, de travail dans la vigne.
JPT : En effet !
Réd. : Frère John Paul, merci beaucoup d'avoir parlé avec nous aujourd'hui.
JPT : C'est un plaisir. Et pour les lecteurs, n'oubliez pas d'aller voir les frères indiens sur YouTube.
Nous sommes heureux de présenter à nos lecteurs cette courte biographie de saint Dominique réalisée l'année dernière par les frères étudiants de la province de l'Inde :
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