La messe d'ensevelissement du frère Hubert Niclasse
Nous présentons à nos lecteurs l'homélie du frère Guido Vergauwen, prieur provincial de la province suisse de l'Ordre des prêcheurs, pour la messe de funérailles de notre frère Hubert Niclasse, qui a eu lieu en l'église paroissiale du Christ-Roi à Fribourg en cet après-midi du 31 mai 2021.
L'homélie est accompagnée d'un reportage photo de notre frère Ivan Zrno.
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(Is 25,6-8 et Job 14,1-6)
Quand quelqu’un demande à être reçu dans l’Ordre des Prêcheurs, il ou elle demande à Dieu et à la communauté la miséricorde. C’est bien ce que notre frère Hubert a demandé en 1967 avant de commencer son noviciat à Nantes en France. Si nous sommes aujourd’hui réunis en prière pour ensevelir notre frère, c’est aussi pour lui manifester une dernière fois notre miséricorde et pour implorer pour lui celle de Dieu.
Frère Hubert avait une dévotion toute spéciale pour sainte Marie-Madeleine. Elle est la première Apôtre de la résurrection, chargée – elle, la femme – d'annoncer la nouvelle aux apôtres – eux, les hommes. Marie-Madeleine, celle qui avait beaucoup péché, celle que l'on associe à la femme adultère, à la femme prostituée, et à Marie de Béthanie séchant de ses cheveux les pieds de Jésus.
Marie-Madeleine, la figure de la miséricorde reçue, est aussi la première à témoigner de la Bonne Nouvelle. Ce dont elle témoigne, c’est que la résurrection du Christ relève toute chair, blessée, humiliée, abusée. Et parce que pour ceux et celles qui croient en Jésus, le Chemin, la Vérité et la Vie, la mort ne saurait avoir le dernier mot.
C’est sans doute le profond attachement à ce message de miséricorde qui a motivé notre frère Hubert à consacrer une grande partie de sa vie professionnelle comme juriste versé au service des personnes qui avaient besoin de miséricorde : les personnes en quête de justice et de pardon face à l’échec de leur vie matrimoniale, les personnes en conflit avec telle ou telle prescription légale, les personnes qui cherchaient simplement l’aide humaine qui leur permette de ne pas couler dans les soucis quotidiens et les obstacles administratifs dans une société de plus en plus complexe et où les relations humaines risquent de devenir opaques.
Juriste, Hubert avait un grand respect pour la loi. Elle est la garantie de la liberté des personnes et de la justice dans la vie en commun. Mais puisqu’il était un bon connaisseur des petits sentiers qui mènent vers les clairières - Hubert fut quand même un chasseur expérimenté et passionné – il a pu, grâce à sa bonne fréquentation des lois, conduire beaucoup de personnes vers les clairières insoupçonnées, sans se perdre dans les forêts des paragraphes juridiques.
Il exerçait son métier de juriste avec une discrétion exemplaire et c’est aussi avec la même discrétion qu’il a pu vivre sa vie fraternelle dominicaine sans avoir eu besoin d’exposer trop facilement ses pensées les plus profondes. Il donnait ainsi l’impression, souvent tranquillisante et bienfaisante, d’avoir une vue d’ensemble sur les problèmes, là où les autres luttaient encore avec les détails de telle ou telle décision complexe, qu’elle fût financière ou de l’ordre de l’application des paragraphes de la loi ou de nos constitutions. Il avait pour ainsi dire un bon sens d’anarchie qui est nécessaire pour l’exercice de la jurisprudence.
Prudence – c’était sans doute un mot clef pour Hubert. Il suffit de lire ce que Saint Thomas écrit sur la prudence pour y découvrir certains traits essentiels qui ont caractérisé notre frère : celui qui est prudent s’approche des choses avec un sens pratique et il manifeste une grande sollicitude et vigilance pour le bien des autres. On pouvait faire l’expérience de ce sens de prudence chez notre frère Hubert dans la gestion financière du couvent et au service de tant de communautés et personnes.
Le frère Hubert aimait faire les choses avec humour et avec un sourire, quelque peu timide souvent – il fut clair dans ses positions politiques, sociales. Mais je ne l’ai guère vu s’agiter à cause des questions ecclésiales trop ad intra, puisqu’il savait que nous sommes tous, aussi en Eglise, des pécheurs qui ont besoin de miséricorde. Ses prédications étaient simples, très compréhensibles et proches de la Sainte Ecriture, mais dans ses explications il y avait toujours une pointe d’humanité sage qui rendait le message de l’Evangile aimable et praticable pour les pécheurs que nous sommes.
Quand un religieux, une religieuse fait profession, il ou elle n’est pas établie comme juge sur les autres ; on est prêté les uns aux autres comme compagnons de route pour un certain temps. Et on ne peut que prier avec le psalmiste : « Qu’ils n’aient pas honte pour moi, ceux qui t’espèrent, Seigneur, Dieu de l’univers » (Ps 68,7). Je crois que le frère Hubert l’avait compris : la vie conventuelle requiert une attitude fondamentale d’amitié. Cela veut dire : il faut espérer que les autres, qu’on n’aurait pas choisi, puissent devenir un autre moi, respecté et aimé, avec qui je partage la vie, avec qui je prie, j’étudie.
Dans le livre des Proverbes 17,17 nous lisons : « Un ami manifeste toujours sa sympathie, mais dans le temps de détresse il se manifeste comme un frère » C’est presque le résumé de la vie du frère Hubert : son sens d’amitié pour sa famille, ses amis politiques, ses compagnons de chasse – sa fraternité sans faille pour ses frères qui lui furent prêtés sur sa route. C’est une droiture de comportement selon laquelle le frère Hubert a vécu. Et on la retrouve dans ce mot du prophète Miché (6,8) : « Homme, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité, et t‘appliquer à marcher avec ton Dieu »
Cela demande, ce que nous appelons, « ascèse », une renonciation de soi, qui s’exprime dans les vœux religieux :
Dans la pauvreté qui est en somme la volonté de recevoir tout de la main de Dieu et la disponibilité de ne rien laisser nous séparer de Dieu, les richesses du monde et la vaine gloire – car nous n’apportons rien d’ici-bas lors de notre mort
Dans l’obéissance comme un respect pour les autres à qui j’oriente désormais l’autonomie de mes décisions
Dans la chasteté comme l’obligation d’aimer les autres sans projections indues et en sachant que cet amour peut résister à la mort.
C’est sur cette route des vœux religieux que notre frère a vécu comme un frère heureux. Car Dieu donne la vie avec ses moments de festin avec les viandes grasses et de vins capiteux, mais aussi avec la tristesse des maladies à supporter. Et il nous appelle, le moment venu, à lui Cela nous fait pleurer, car tout départ est trop tôt, trop vite. Mais nous croyons que notre Dieu fera disparaître la mort pour toujours et qu’il essuiera les larmes sur nos visages.
Hubert nous a quitté, vers la maison du Père, dans laquelle est préparée pour lui une des nombreuses demeures. Il y trouvera la lumière du visage divin. C’est un visage qui n’est pas différent de son propre visage, car c’est le visage du Fils de Dieu, qui par son incarnation s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme (Gaudium et Spes 22). C’est le visage de notre Dieu, qui est « riche en miséricorde » (Ep 2,4).
Nous savons que nous le verrons « face à face » (1 Co 13,12). « Pour ton serviteur que ton visage d’illumine » (Ps 118,135). Le frère Hubert verra le visage du Fils de l’Homme et il verra le visage de St Dominique. Le jour avant sa mort, j’ai parlé avec le frère Hubert et il me disait en toute humilité son espérance : « Tu verras, ce sera avec moi comme avec Saint Dominique. Il disait aux frères qu’il leur serait plus utile après sa mort que vivant. » Ces mots de Saint Dominique sont entrés dans notre chant O spem miram – Ô merveilleuse espérance.
Gardons donc vivante cette merveilleuse espérance – comme le frère Hubert – pour tous nos frères qui nous ont quitté, et pour nous-mêmes.
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Donne-lui, Seigneur, le repos éternel. Et que brille sur lui la lumière de ta face.
Qu'il repose en paix.
Amen.
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