La liberté des enfants de Dieu
La liberté est chère au cœur de l'homme : comme il l'a souvent montré, il est même prêt à donner sa vie pour la préserver. « Sur les champs, sur l'horizon, sur les ailes des oiseaux et le moulin des ombres, j'écris ton nom : liberté... » Nous connaissons tous ce poème de Paul Éluard. Un autre Paul en parle aussi, dans sa lettre aux Galates : « C'est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l'esclavage, puisque vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme. Marchez sous la conduite de l'Esprit » (Ga 5,1). Or, marcher “sous la conduite”, cela revient à être guidé, comme le sont les animaux dociles aux injonctions du charretier qui les dirige. Mais ici, le joug de l'esclavage est remplacé par celui de l'Esprit : « Mon joug est facile et mon fardeau léger » (Mt 11,30), enseigne Jésus à son sujet. En effet, la liberté des enfants de Dieu ne signifie pas une soumission arbitraire à leurs caprices ; ceux-ci auraient tôt fait de les enchaîner, de faire main basse sur leur liberté intérieure. Voilà le sujet-là que nous sommes invités à méditer ; c'est un sujet ardu : “difficile liberté” que celle des croyants qui ne disposent de leur propre volonté que pour la mettre au service de Dieu et du prochain. La liberté est donc le prestige des martyrs qui ont librement choisi de donner le témoignage du suprême sacrifice. Elle est, aujourd'hui, celle de Pierre et de Paul qui sont allés jusqu'au bout de leur choix.
En vérité, la liberté qui nous est proposée est celle d'aimer toujours davantage. Les deux mots sont intimement liés. D'abord, depuis l'enfance, la liberté nous est offerte dans l'expérience d'être aimé. L'amour nous fonde en nous-mêmes et, dans le même temps, nous ouvre aux autres. Notre mission est de nous mettre au service de cette liberté-là. On dit que la liberté de chacun finit là où commence celle d'autrui. Pour le disciple du Christ, c'est juste le contraire : sa liberté prend naissance là où commence celle de son voisin. À la manière des vagues de la mer, où chacune offre à la suivante le mouvement même de son existence. Dans cette offrande amoureuse, l'homme veut aussi se donner tout entier. Cela ne devrait pas lui être si difficile, puisque, de toute manière, l'homme ne s'appartient pas à lui-même. Il n'y a que dans ce don absolu qu'il rejoint le mystère de ce qu'il est. C'est là que jaillit le chant de sa liberté : dans cet art de donner dès à présent ce que, de toute manière, la vie ne tardera pas à lui ôter. « Tout ce qui n'est pas donné est à jamais perdu », disait Hasari Pal, dans le livre magnifique de Dominique Lapierre : La cité de la joie. Qui donc l'a mieux compris que saint Pierre et saint Paul ?
Dans l'un de ses écrits, Bède le Vénérable parle du “joug de l'amour”. Ce mot est très bien choisi pour imager l'exercice de la charité qui se présente plus souvent comme un rude effort que comme une suave délectation. Le joug restreint notre liberté et, parfois, nous fait ployer sous la charge. Mais porter le joug de l'amour, cela signifie contribuer à ce travail de labourage qui nous est demandé, par lequel la terre est rendue plus fertile à la semence du Verbe. C'est ce qu'était en train de faire Élisée, au moment où Élie jette sur lui son manteau, faisant de lui son successeur. Cette œuvre initiale – l'œuvre d'un amour qui passe par le travail de la terre, afin de nourrir les siens –, Élisée est sur le point de l'achever. Par l'intermédiaire d'Élie, la main de Dieu se pose sur lui et lui indique une œuvre plus élevée. Là, Élisée n'a pas encore saisi. Il répond au prophète : « Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis je te suivrai. » Mais ensuite, s'étant ravisé, « il prit la paire de bœufs pour les immoler, les fit cuire avec le joug de l'attelage » (1 R 19,21). Voici à nouveau l'image du bois de l'amour humain consumé par le feu divin, dont nous parlions à la Pentecôte.
La plupart de ceux que Jésus appelle voudraient eux aussi régler quelques affaires du passé, avant de se jeter dans les bras d'un avenir dont ils ne savent rien. Mais Jésus leur répond : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n'est pas fait pour le royaume de Dieu » (Lc 9,62). La femme de Loth en a fait les frais : s'étant retournée pour regarder en arrière – nous dit le Livre de la Genèse –, elle fut aussitôt transformée en statue de sel (Gn 19,26). Nous l'entendions encore ce matin, à l'office de laudes, sur les lèvres de saint Paul : « Oubliant ce qui est en arrière et me portant vers ce qui est en avant, je cours vers le but » (Ph 3,13). On se souvient aussi de la colère du Seigneur, à Massa et Mériba, lorsque le peuple élu rêve de retourner auprès des marmites égyptiennes remplies de viande. L'attrait de l'esclavage peut être parfois plus fort que le risque de la liberté !
Ce thème est omniprésent dans la pensée biblique : le salut n'est jamais en arrière, il est en avant. Il est symbolisé par cette terre promise – “mise en avant” –, vers laquelle il nous faut marcher, même si l'on doit, pour cela, renoncer au passé rassurant et traverser le désert. C'est aussi ce que signifie la vertu de chasteté : en tant qu'école du désir, elle n'est pas réservée aux moines et aux moniales. “Chasteté” vient du latin “castus” ; or, “castus” a son contraire, en latin : “incastus”, terme dont dérive le mot “inceste”. Par conséquent, le contraire d'un amour chaste est un amour incestueux, au sens propre du terme : le désir de revenir au sein de la mère, c'est-à-dire à l'état prénatal, à l'indétermination, à un stade antérieur à l'apparition de cette conscience qui nous oblige à prendre nos responsabilités.
Elle est là la tentation, dans ce désir profondément inscrit en nous de retourner en arrière, de remonter vers notre origine, c'est-à-dire vers notre propre néant, puisque c'est de là que nous avons été tirés par l'acte créateur. Nous le savons, opter pour la vie est un choix qui chaque jour doit se renouveler. Mais si nous nous attelons à cette tâche, alors nous entrons en fraternité avec tous ceux qui fournissent le même effort, contre vents et marées. Car un joug ne se porte jamais seul. (D'ailleurs le mot “conjugal” veut dire : “sous le même joug”). Autrefois, c'est aussi une paire de bœufs que l'on harnachait de la sorte, afin qu'ils unissent leurs forces pour mener à bien leur tâche. Dieu a voulu que Pierre et Paul s'attellent tous deux à une même tâche, afin que le champ de l'Église donne un fruit plus abondant. Et, en ce qui nous concerne, qui donc est celui qui partage mon joug, au quotidien ? C'est évidemment celui que l'Évangile appelle le prochain. Celui qui est le plus proche, celui qui se charge avec moi du poids de la vie présente ; celui qui est là, à portée de ma main, et qui attend aussi que je sois son prochain. Et même lorsqu'apparemment je suis seul à m'éreinter, lorsque l'effort me semble disproportionné, le Christ est là, à mes côtés.
« Là où est l'Esprit, là est la liberté » (2 Co 3,17). Être libre est une œuvre de longue haleine. Nous n'en avons jamais fini de passer par la porte étroite, de nous libérer, de nous élever. En bas, le diable brouille tout. Il nous trompe en nous faisant miroiter une prétendue liberté, tandis qu'il nous happe dans ses filets. En haut, Dieu nous demande de nous soumettre à sa loi, mais à celui qui dit oui, il ouvre l'espace d'une souveraine liberté. « Celui qui perd sa vie la trouvera » (Mc 8,35). Ou, pour le dire avec les mots de Thibault de Montaigu : « Il faut parfois faire le deuil du bonheur pour être heureux. Il faut parfois abandonner l'idée de jouer un rôle à tout prix pour trouver enfin le sien. Il faut parfois ne rien réclamer à l'existence pour que tout nous soit offert par surcroît. »
Il faut donc laisser à Dieu, dans notre vie, ne serait-ce qu'un petit espace de liberté. Il réclame, il quémande cet interstice dans le tissu serré de notre existence, cette fissure où puisse se glisser le souffle de son Esprit. Et, à partir de là, il grandit et investit peu à peu toutes nos terres intérieures... Mais, au moment où il a enfin capturé le papillon de notre âme, Dieu ouvre la main et nous dit : « C'est par amour que je t'ai traqué ; si tu restes près de moi, je ne veux pas que ce soit par obligation, mais par amour. Tu es libre ! Envole-toi, si tu le désires... » Car, en vérité, Dieu ne nous contraint qu'avec notre plein assentiment. Mais, sitôt qu'on y consent, sa volonté nous oblige vraiment, d'une obligation toute intérieure qui s'impose à nous comme un ardent désir. Et si nous avons compris cela, alors nous pourrons murmurer cette belle prière : « Incline-moi, Seigneur, sous le joug de la sainte obéissance, afin que j'y trouve le chemin qui conduit à la parfaite liberté. »
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