Homélie pour la profession simple des frères Yohan, Simon et Ambrosius

Du frère Guido Vergauwen, prieur provincial de la Province de Suisse

Is 56, 1-7

Ps 26

Luc 6, 43-49

Nous venons d’entendre une parole divine étonnante de la bouche du prophète Isaïe : « Ma maison s’appellera maison de prière pour tous les peuples ». L’appartenance à la grande communauté universelle que Dieu s’est choisie n’est pas conditionnée par l’origine ethnique des personnes ni par leur condition corporelle. Dieu ne veut exclure personne de son amour. Il assure un avenir à chacun, même s’ils n’auront pas une descendance naturelle, des fils et des filles – aussi ceux et celles qui promettent, comme religieux, une vie obéissante, chaste et pauvre. La seule condition pour appartenir au peuple universel de Dieu : qu’on adore Dieu en vérité, sans hypocrisie, qu’on pratique la justice, qu’on n’abuse pas de la foi pour son propre profit personnel, qu’on aime le nom du Seigneur, c’est-à-dire qu’on l’honore par notre prière.

Le psaume que les frères ont choisi pour cette célébration de la profession parle de la confiance. Celui qui croit en Dieu peut vivre sans crainte. Il n’y a pas de raison pour trembler devant les adversités de la vie, les malheurs et les difficultés souvent inévitables. Dieu nous laisse habiter dans sa maison, il nous donne un abri, un lieu sûr – l’amitié fraternelle d’une nouvelle famille dans laquelle Dieu nous reçoit.

L’évangile selon saint Luc confirme encore cette confiance : bon arbre – bon fruit, bon cep – bons raisins. Les vendanges et le pressurage, c’est notre travail et notre responsabilité, certainement. Jésus change l’image : de la fécondité agricole il passe vers les conditions de la construction réussie. Donnez de bons fondements à votre maison, ne construisez pas sur le sable qui part avec la première inondation, ne craignez pas de creuser très profondément. Bâtissez votre maison – toute votre vie – sur le roc, c’est-à-dire sur l’écoute de la parole et de la mise en pratique de ce qu’elle vous apprend.

Cher Ambrosius, cher Yohan, cher Simon, par la profession, en promettant obéissance, vous vous attachez avec confiance à un Dieu qui aime sans exclusion, qui est lumière et salut, qui est un fondement stable pour notre vie.

Dans son traité sur l’obéissance Ste Catherine de Sienne parle de la « précieuse clef de l’obéissance » par laquelle le Fils de Dieu a rouvert la porte de la vie éternelle. Cette clef vous permet maintenant de prendre place dans la barque de Saint Dominique. Et Catherine continue : « Dominique est d'accord avec ma Vérité, puisqu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. » Ainsi la forme de vie dominicaine est « toute large, toute joyeuse, toute parfumée ; c'est un jardin de délices – Tutta la fece larga, tutta gioconda e tutta odorifera : uno giardino delettissimo in sè ». (Il Dialogo, CLVIII).

Chers frères et sœurs, dans une société qui aime le provisoire et qui est plus que jamais incertaine concernant son propre futur – que ce soit économique ou sanitaire, social ou politique – un tel engagement par la profession religieuse requiert une liberté d’esprit qui est prête à orienter toute la vie, ses intérêts et ses engagements, vers la bonté divine, tout en espérant fermement que celui qui cherche Dieu le trouvera et tous les biens avec lui. « Attache-toi à Dieu et tout bien s’attachera à toi » (Maître Eckhart, Discours du discernement, 5).

Le vœu d’obéissance prolonge la consécration chrétienne du baptême. Il donne à ceux et celles qui font profession dans notre Ordre la liberté intérieure pour devenir attentifs aux exigences de la charité et disponibles à recevoir la grâce de la prédication, à accepter le ministère de la parole de Dieu qui, par l’Eglise, est confiée, dès sa fondation, à notre Ordre.

C’est une nouvelle forme de vie qui est basée sur un équilibre harmonieux entre le partage des biens, la communion et la charité fraternelle, la célébration de la liturgie, la prière commune et l’étude : une vie apostolique « dans laquelle la prédication et l’enseignement de la doctrine doivent procéder de l’abondance de la contemplation ». C’est ainsi que l’exprime la constitution fondamentale de l’Ordre.

Promettre l’obéissance requiert humilité, patience et simplicité. Obéissance et humilité vont ensemble. Il faut de l’humilité pour accepter les tâches et les missions qui nous sont confiées. Être humble, c’est surtout savoir qu’on vit de la grâce. Dans un des sermons (49) que Maître Eckhart a donné à Strasbourg, il dit : « La véritable humilité, c’est qu’un homme étant tout ce qu’il est … ne prétende pas faire ou omettre quoi que ce soit s’il ne l’attend de la lumière de la grâce. Que l’on sache ce qu’il faut faire ou omettre, voilà la véritable humilité de la nature. » Et ailleurs (dans le sermon 74), dans un sermon pour la fête de St François, Eckhart dit : « La véritable humilité fait la grandeur d’un homme ».

Humilité, mais aussi patience. Patience avec nous-mêmes et les autres. Patience avec notre propre esprit rebelle qui estime souvent que les supérieurs ne sont peut-être pas toujours capables de considérer nos dons personnels et d’apprécier à leur valeur nos ambitions légitimes. Patience aussi avec les autres. Dans une lettre que le frère Timothy Radcliffe adressa en 1999 aux frères et sœurs en formation initiale, le maître de l’Ordre disait que le cheminement dans l’Ordre « exige une transformation patiente et parfois douloureuse ». Faire communauté, c’est toujours vivre avec des différences au travers desquelles et malgré lesquelles on construit une fraternité qui est portée par la confiance et l’écoute mutuelle, par un même élan évangélique, une même suite du Christ dans une fidélité réciproque et pour une commune mission. Timothy Radcliffe ose même parler du « labeur de devenir frères ». Mais cette transformation est aussi une consolation ; elle nous permet de trouver la force pour affronter notre faiblesse et nos fragilités – car nous avons demandé la miséricorde des frères.

L’obéissance nous propose enfin un programme de simplicité, c’est-à-dire, un programme qui demande la droiture intérieure, pour suivre le chemin de la vérité et un discernement spirituel pour apercevoir l’essentiel, la présence de Dieu en toutes choses. Dans son livre Ethique Dietrich Bonhoeffer écrit : « Simple est celui qui, face à la confusion et à l’altération de toutes les notions, garde la vision de la seule vérité de Dieu … Lié non par des principes, mais par son amour pour Dieu, il est libéré des problèmes et des conflits de la décision éthique, qui ne le tourmentent plus. Il n’appartient qu’à Dieu et à la volonté divine. L’homme au cœur non partagé fixe ses regards sur Dieu sans loucher vers le monde, et cette attitude lui confère une vision de la réalité du monde libre de toute prévention. Ainsi la simplicité devient intelligence. » (Dietrich Bonhoeffer, Ethique, Genève. Labor et Fides 1965, 46)

Le monde est en effet complexe dans les multiples défis qu’il nous pose et nous sommes aussi en nous-mêmes des êtres fort complexes. La simplicité de l’obéissance illumine notre chemin par cette lumière de l’intelligence – un héritage que St Dominique a légué à son Ordre pour la prédication et au service du salut des âmes. La simplicité nous demande de nous tourner vers l’extérieur afin de rester à l’écoute de nos frères et sœurs, avant tout de ceux et celles qui réclament notre compassion. Lacordaire appelait cela : recevoir la grâce de pouvoir entendre son siècle. Mais nous sommes aussi appelés à nous tourner vers l’intérieur, pour être transformés par cette même grâce et être unifiés en nous-mêmes. C’est ce que Eckhart appelle la simplicité. « Plus l’homme est purement et simplement détaché de lui-même en lui-même, plus simplement il reconnaît toute multiplicité en lui-même et demeure immuable en lui-même » (Sermon 15). Dans cette simplicité l’homme peut se reconnaître et se tenir devant Dieu et les autres tel qu’il est, sans déguisement, sans vanité, sans fausse érudition. La simplicité, ce cœur non partagé, nous aide à saisir Dieu en toutes choses, de l’avoir présent, « que tu sois dans l’église ou dans ta cellule, dans l’agitation et la diversité » (Eckhart, Discours du discernement, 6), car « Dieu est le Dieu du présent. Tel il te trouve, tel il te prend et t’accueille, non pas ce que tu as été, mais ce que tu es maintenant » (ibid. 12).

Après les professions simples le 10 septembre 2022 dans l'église du couvent de Strasbourg des frères Simon (à gauche), Yohann (à droite) et Ambrosius (au centre) (photo : facebook.com/dominicains.strasbourg)

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