Homélie de la nuit de Noël

Du frère Emmanuel Durand, prieur du couvent St-Hyacinthe

Marie enfanta son fils premier né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire… quelle simplicité dans les gestes de cette jeune mère, quelle sobriété dans le récit de l’accueil du Sauveur. Marie et Joseph vivent Noël hors de la ville, dans une cabane d’occasion dédiée avant tout au bétail, comme on en voit quelques-unes dans les préalpes fribourgeoises, plus ou moins solides. Trois simples verbes : enfanter, emmailloter et coucher, pour traduire les gestes avisés d’une jeune maman. Étonnement, aucune parole n’est rapportée au plus près de cette naissance, autour de cette mangeoire. Un grand silence, peut-être.

En revanche, les paroles sont surabondantes un plus loin, dans les alpages. L’Ange du Seigneur s’adresse aux bergers, puis une troupe céleste entonne le Gloria. Les bergers ont été enveloppés d’une grande lumière, celle de la gloire du Seigneur. Cela ne fut pourtant pas le cas pour Marie et Joseph. Pas d’annonce retentissante, pas d’illumination de Noël autour de la crèche. Jésus seul sous le regard de Marie et Joseph. S’il y a une évangélisation et une illumination aux bergers, Marie et Joseph ont vécu Noël tout simplement, dans la foi nue.

La foi devant la présence. Contempler le visible, ce petit enfant, comme s’ils voyaient l’invisible, le Fils du Père. Accueillir la plénitude dans l’humilité de ce qui se donne à voir : un nouveau-né dans une mangeoire.

Nous sommes conviés à cette même foi. L’Évangile que nous recevons, à la suite de bergers, doit nous donner des yeux pour voir le salut. L’extraordinaire n’est pas dans l’apparaître – cet enfant est une merveille de nouveau-né comme bien des nouveau-nés –, mais sans rien qui le distingue au premier regard. L’extraordinaire s’est logé dans les déclarations et les paroles confiées aux bergers afin qu’ils puissent regarder cet Enfant comme Marie et Joseph, avec les yeux de la foi. Marie et Joseph avaient eux aussi besoin de l’Évangile confié aux bergers pour aller jusqu’au bout de leur foi en cette nuit de Noël, comme le suggère saint Luc un peu plus loin : « quand les bergers, ayant rejoint la crèche, racontèrent ce que l’ange leur avait dit, tous furent étonnés par ces paroles… et Marie les retenait toutes avec soin en les méditant dans son cœur ».

La Nativité fut ainsi très dépouillée quant aux sens et débordante pour la foi. Ne cherchons pas autre chose. Retenons avec Marie tous ces événements avec comme intime lumière les paroles de l’Évangile.

Comment se fait-il que Marie dépose Jésus dans une mangeoire, au lieu de le garder contre son sein ? Quand mes jeunes sœurs mettent un petit enfant au monde, encore récemment, je reçois une photo du nouveau-né contre le sein de la mère, et non dans une mangeoire. Il se pourrait que Marie ait voulu d’emblée signifier que cet Enfant nous est donné. Il est l’Enfant du Père, livré afin que le monde croie et soit sauvé. D’emblée, sa vie est exposée. Il est mis devant nos yeux, afin que nous puissions croire en lui.

Quel abandon et quelle générosité de la part de Marie ! Quelle prise de risque de la part de Dieu ! Donner son propre Fils au monde, ce monde où il n’y a pas de place pour lui, sinon dans le cœur des simples croyants, auprès des pauvres et des itinérants, parmi les foules affamées et les malades en attente de salut, dans l’écoute de celles et ceux qui veulent bien se laisser toucher et convertir.

Un homme de la soixantaine, fils unique ayant lui-même un fils unique, m’a dit un jour : Dieu peut tout me demander, mais qu’il ne touche pas à mon fils. Dieu, lui, a pris le risque inouï de donner son Fils à notre monde si troublé, plein de conflits, désorienté. Dieu a tant aimé ce monde – ce monde que nous avons peut-être du mal à aimer nous-mêmes –, que Dieu a livré son Fils à nos regards, à nos paroles et à nos mains.

Alors qu’allons-nous faire de cet Enfant : l’accueillir et l’écouter ou le museler et l’ignorer ? Nous tenir avec les bergers et les mages ou nous tenir avec les scribes et Hérode ? C’est la vraie question devant cette mangeoire. Accueillons-le cet Enfant du Père, alors même qu’il fera vaciller nos petites principautés de pécheurs établis. Accueillons-le afin de vivre pleinement à sa suite, en disciples de plein vent. Accueillons-le afin de partager son salut avec nos sœurs, nos frères et nos contemporains.

L'adoration des bergers, J. Tissot, 1886-1894. (image : Musée de Brooklyn, acheté par souscription publique)

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