Fils de Dieu
1 S 1,20-28 / Ps 83 / 1 Jn 3,1-24 / Lc 2,41-52
Par la naissance d'un enfant, voici qu'une famille est née : celle qui accueille ce petit Samuel qui deviendra un grand prophète. Une histoire qui commence comme toutes les histoires : « Elcana s'unit à Anne, sa femme. Et Anne enfanta un fils. » Mais ici, dès l'origine, une précision place cet événement au-dessus d'une simple procréation : « Elcana s'unit à Anne, sa femme, et le Seigneur se souvint d'elle » (1 S 1,20). L'enfant qui naît n'est pas seulement le fruit d'un processus biologique, il est un don de Dieu. « À tous ceux qui l'ont reçu, il est donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux-là qui ne sont pas nés d'un sang humain, ni de la poussée de l'instinct, ni du vouloir de l'homme, mais qui sont nés de Dieu » (Jn 1,12).
Ici, la naissance de Samuel manifeste une vocation surnaturelle : elle s'incorpore à l'histoire du salut où elle aura à jouer un rôle essentiel. Mais n'est-ce pas le cas de toute naissance ? Tout nouveau-né n'est-il pas un enfant de Dieu et, comme tel, n'est-il pas appelé à prendre lui aussi sa place – même modeste – dans la réalisation des desseins du Créateur ? Le Seigneur ne se souvient-il pas de tous ceux qu'il appelle à la vie ? Et voilà ce qui rend une famille sainte, puisque la sainteté est une élection divine en vue du bien commun. Bien entendu, la Sainte Famille dont nous faisons mémoire aujourd'hui est un cas unique : elle est le prototype et l'origine de toute sainteté. Mais ce qui s'est manifesté là est la figure de ce qui peut arriver au cœur de toute famille humaine. Oui, nos familles sont toutes appelées à la sainteté ; mais, souvent, nous ne le savons pas. Ce qui retient notre attention, ce sont plutôt ses défauts, ses insuffisances, ses manquements. Chacun mesure la distance qui le sépare de ce modèle qui nous est présenté dans la famille de Nazareth. Il est vrai que beaucoup de familles sont déchirées ou se laissent anesthésier par l'indifférence...
En premier lieu, pour être sainte, une famille ne doit pas s'enfermer sur elle-même : la sainteté est, avant tout, une ouverture. D'ailleurs, la naissance d'un enfant vient briser le cocon dans lequel les jeunes époux ont la tentation de se replier sur leur bonheur. C'est la nouveauté qui fait irruption ! Il s'agit de mettre au monde un enfant, de le délivrer. D'ailleurs, pour un accouchement, ne parle-t-on pas justement de délivrance ? C'est un travail qui commence là et qui durera des années. Dès le début, pour que l'enfant vive, il s'agit de couper ce cordon qui le retient encore prisonnier du milieu d'où il vient et dont il doit apprendre à se dégager. Le premier acte après la naissance est un acte de délivrance, et c'est déjà l'annonce d'un Dieu qui nous libère de nos entraves.
Ensuite, avant d'apprendre à aimer ceux qui nous entourent, nous commençons par recevoir cet amour qu'il nous faudra partager avec eux. Comme le dit Jean-Luc Marion, « il faut que je me découvre et que je me reçoive comme un être donné. » La vie est, avant tout, affaire de donation. « C'est pour obtenir cet enfant que je priais – dit Anne –, et le Seigneur me l'a donné en réponse à ma demande. » Et elle ajoute : « À mon tour, je le donne au Seigneur pour qu'il en dispose » (1 S 1,27-28). Voilà comment s'initie une histoire de sainteté. Dans la religion juive, le premier-né appartient au Seigneur. C'est pourquoi les parents se rendent au temple pour « racheter » par un sacrifice ce fruit de leur amour. Sauf que, pour Samuel, l'enfant sera donné à Dieu pour toujours, happé par un destin surnaturel qui le dégage de sa première appartenance.
Mais, dans tous les cas, la véritable attitude religieuse consiste à remettre entre les mains de Dieu les bienfaits reçus de lui. Ce sacrifice, qui se change en consécration, fait de chaque famille une sainte famille. En vérité, rien ne nous appartient, c'est nous qui appartenons à Celui qui est l'origine de tout. D'où la nécessité de ce dépouillement initial, pour revêtir la grâce. Quoi qu'il en soit, le dernier acte d'une éducation achevée ne consiste-t-il pas en ce renoncement auquel les parents consentent, lorsque l'heure est venue ? Je pense souvent à l'image attendrissante de l'oiselle poussant son petit hors du nid, afin qu'il apprenne à voler.
La famille est une indispensable chrysalide où l'enfant se fortifie et, à l'instar de Jésus, « grandit en sagesse, en stature et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2,52). Mais, au moment donné, il faudra que ce carcan soit brisé pour que l'homme puisse grandir et s'offrir à la vie qui l'entraîne. Voilà la véritable demeure qui est aussi une matrice provisoire et bénie. La demeure dont notre âme s'épuise à désirer les parvis. Car dire cela est une bonne chose, mais l'accomplir est une autre paire de manches. La tentation de l'égoïsme nous inclinerait plutôt à nous refermer sur nos possessions, à oublier que le plus important est un don perpétuel et qu'accepter cela est la seule chose qui nous permette de traverser indemnes cette existence douloureuse. « Heureux, Seigneur, les habitants de ta maison : ils pourront te chanter encore et des chemins s'ouvriront dans leur cœur ! » (Ps 83,5).
Ouvrir des chemins dans le cœur de ceux qui nous sont confiés. Existe-t-il une tâche plus noble que celle-là ? Et il y a mille manières de le faire. Marie et Joseph ont aussi dû se soumettre à cette loi : ils l'ont fait avec tout leur amour. À douze ans, déjà, Jésus commence à leur échapper, afin qu'ils apprennent, comme tous les parents, que cet enfant, qui fut par eux, n'est pas pour eux.
« Voyez quel grand amour nous a donné le Père : nous sommes appelés enfants de Dieu, et nous le sommes véritablement » (1 Jn 3,1). Avant les liens du sang, avant les bienfaits procurés par ceux qui nous ont éduqués et que nous devons honorer, vient cette affirmation première : nous sommes enfants de Dieu. Et c'est ce mystère qui nous donne d'appartenir à la véritable sainte famille : celle de ces enfants de Dieu qui n'ont qu'un seul Père et qui, grâce à lui, sont tous des frères. À condition d'en accepter la loi. Or, voici cette loi : « mettre notre foi dans le nom de Jésus, et nous aimer les uns les autres comme il nous l'a enseigné. Alors, qui garde ce commandement demeure en Dieu, et Dieu en lui » (1 Jn 3,24).
Il habite dès à présent et pour toujours, la maison que Dieu édifie pour ses enfants.
On me dira peut-être que tout cela est très idéalisé et que la réalité de nos vies familiales est bien plus pauvre. C'est vrai... Mais, je me risquerai à dire que ce n'est vrai qu'en apparence. En réalité – et je parle d'une réalité qui échappe à nos yeux – la victoire du Christ est d'ores et déjà acquise : l'Église est fondée et elle immerge ses fils dans les eaux de sa sainteté. Lorsque nous butons contre des difficultés, des embrouilles, des discordes, des impossibilités de se comprendre ou de se rejoindre, il est bon que nous nous souvenions de cela.
« Dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, même si ce que nous sommes dès à présent n'a pas encore été pleinement manifesté » (1 Jn 3,2). Il existe un lieu – et c'est le cœur de Dieu – où ce qui nous sépare n'existe déjà plus. Elle est là, notre véritable réalité, bien plus certaine que celle que nous voyons ici et maintenant.
La Sainte Famille est déjà la nôtre, car elle ne l'est pas en raison de notre perfection : elle l'est en vertu de l'amour de Celui qui nous a unis les uns aux autres dans le Sang de son Fils. Quel mystère en vérité !
Mais c'est ce qu'affirment les lectures de ce jour. Et c'est ce qu'enseigne aussi saint Paul aux Éphésiens : « Frères, maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C'est lui qui est notre paix : de tous, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui nous séparait. Ainsi, il a voulu créer en lui un seul homme nouveau en faisant la paix, et réconcilier avec Dieu les uns et les autres, en un seul corps ; en sa personne, il a tué la haine » (Ep 2,13-16).
Voilà, si nous pensons que nous sommes condamnés à l'échec où la vie semble peut-être nous tenir, nous nous trompons. Telle n'est pas la vérité. Au-delà de nous-mêmes, au-delà de notre conscience ou de notre entendement, Dieu nous accueille dès à présent afin que soit mené à terme le grand ministère de la réconciliation. Le verrons-nous de nos yeux en ce monde ? Pas sûr ! Mais heureux celui qui croit sans avoir vu !
Et quelles que soient nos épreuves, ne perdons pas cette belle espérance !
« Nous bénéficions d'une union corporelle avec le Christ, nous qui participons à sa chair sacrée – écrit saint Cyrille d'Alexandrie. Nous ne sommes plus seulement des hommes, mais nous sommes des fils de Dieu, des hommes célestes, puisque nous voici participants de la nature divine. »
Qu'il nous soit donné de ne pas l'oublier et de nous y conformer !
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