De Lyon à Fribourg en vélo
Au début de l'année académique, nous avons l'habitude d'accueillir de nouveaux frères à Fribourg.
L'année dernière, nous avons présenté à nos lecteurs notre frère de Lombardie, Andrea Codignola, et un frère fraîchement arrivé de Flandre, Anton-Marie Milh.
Cette année, nous apportons à nos lecteurs quelque chose d'exceptionnel : un rapport écrit par le nouveau frère lui-même.
Le frère Thomas Zimmermann de la Province de France a choisi un moyen peu conventionnel pour nous rejoindre depuis le couvent de Lyon. Il a parcouru toute la distance de Lyon à Fribourg en quatre jours sur son vélo.
Voici quelques pages impressionnantes tirées de son journal, avec des photos prises sur la route :
***
Chers amis suisses, mes frères m’envoient chez vous pour poursuivre ma formation dominicaine, à l’Université de Fribourg. Et je me réjouis de découvrir votre pays, ses reliefs, ses traditions, ses hommes.
C’est un voyage qui se poursuit, depuis mon Alsace natale et le noviciat à Strasbourg, il y a quelques années maintenant.
Après trois ans à Lyon, où j’ai commencé les études de théologie, l’heure était venue de prendre la route à nouveau.
« Mais cette fois, à vélo ! » – me suis-je dit.
Le chemin m’était tout tracé : je n’avais qu’à suivre le Rhône, au moins jusqu’aux bords du Léman, du côté de Vevey.
Après, on improviserait… Je suis maintenant bien arrivé au couvent Saint-Hyacinthe, mais je vais vous raconter ce petit périple, plein de surprises !
Je suis donc parti le 7 septembre dernier du Couvent du Saint-Nom de Jésus.
Tôt le matin, je suis descendu dans le cloître pour charger ma monture – décorée pendant la nuit par quelque mystérieux frère… – et les frères étaient là pour le départ. Ça faisait chaud au cœur, la fraternité… J’ai demandé au frère Benoît, le père-maître, la bénédiction des voyageurs (qu’il va finir par connaître par cœur !) et c’était parti.
Direction les quais du Rhône, puis prendre le fleuve à contre-courant. Facile !
C’était beau, ça sentait le matin, la fraîcheur, le nouveau. Mais voilà, je m’arrête.
Première pause : je laisse mon vélo et mon sac un instant, et quand je reviens… Plus de sac à dos !
C’était mes affaires de toilettes, des papiers administratifs, quelques fiches de cours que j’avais gardées… Ah oui, je ne vous ai pas dit, mais mis à part mon ordinateur auquel j’ai voulu épargner une éventuelle douche en cours de route, j’avais décidé de me débarrasser de tout ce qui ne tiendrait pas sur mon vélo.
Les seules affaires que je gardais, c’était le nécessaire. …
Bref, ça m’a angoissé, mais j’ai aussi beaucoup ri, parce que j’ai trouvé ça ironique d’essayer de faire un effort de pauvreté (ou au moins, de sobriété) et de quand même se faire voler son sac à la première occasion !
Après un petit temps d’hésitation, j’ai décidé de continuer quand même, après avoir prévenu un frère de Lyon, au cas où – on ne sait jamais, me suis-je dit – ce sac réapparaîtrait un jour ?... Il était 10h du matin, c’était reparti.
Et voilà qu’à 13h, je m’arrête : 6 appels manqués ! C’étaient mes frères de Lyon qui avaient été contactés par la police du parc de la Tête d’Or : le sac avait été retrouvé dans un buisson, caché !
Je ris encore… J’ai appelé le bureau de police pour confirmer que j’étais bien le propriétaire de ce sac, et un frère me l’a ramené en voiture, le soir, à l’étape où j’avais décidé de terminer ce premier jour.
Fin d’après-midi, j’arrivais à Montalieu et retrouvais miraculeusement ce sac. L’occasion d’une bonne pizza avec le frère Albert qui avait fait le trajet exprès.
Vers 20h, je suis parti à la recherche d’un lieu où dormir : il était tard, j’espérais trouver vite quelqu’un pour m’accueillir. Après quelques essais, c’est finalement un couple assez âgé qui m’a ouvert la porte. Je me suis installé dans le garage et n’ai pas fait long feu. Premier jour !
Au matin, Serge et sa femme m’attendait pour le petit-déjeuner. L’occasion de bavarder un peu, de faire connaissance et de quelques confidences sur la Providence : ancien routier, il en avait eu plusieurs fois l’expérience ! Puis je repartais. « La paix soit sur cette maison »
Quelques heures plus tard, je m’arrêtai à Brangues sur la tombe de Paul Claudel, pour l’office du milieu du jour. Je repensai à ces lignes qu’il écrivit sur l’apôtre Saint-Jacques et qu’un frère m’avait imprimée quelques jours avant mon départ…
Saint-Jacques dit :
Pélerin de l'Occident, longtemps la mer plus profonde que mon bâton m'a arrêté sur ce donjon à quatre pans de terre massive. [...] Jusqu'au jour où je me suis remis en marche au-devant de la caravelle de Colomb. C'est moi qui le tirais avec un fil de lumière pendant qu'un vent mystérieux soufflait jour et nuit dans ses voiles [...] Levez vers moi les yeux, mes enfants, vers moi, le Grand Apôtre du Firmament, qui existe dans cet état de transport.
Paul Claudel, Soulier de Satin, Deuxième Journée, Scène VI
Je mangeai un peu plus loin, dans une ferme qui faisait aussi guinguette, à l’ambiance familiale ; les enfants nourrissaient les chevaux, la grand-mère épluchait les patates en lançant quelques miettes aux poules et à leurs poussins qui vaquaient librement au milieu des tables, pendant que les parents préparaient le repas.
Dans ce cadre qui me portait à la contemplation, sous les pins, j’ouvrais le livre que m’a offert le frère Camille de Belloy pour la route, et qu’il vient de publier : Je crois et je parlerai.
Le livre s’ouvre avec l’incipit de la lettre aux Hébreux : « A bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. »
Par qui il a créé les mondes… Et la route continuait, le long du fleuve, par La Bruyère, puis La Balme, Belley… Les montagnes se dressent là petit à petit pour escorter le Rhône qui se fait bleu, séduisant, et calme.
Je m’arrêtai au « Lac du lit au Roi », à une petite dizaine de kilomètres de Belley, pas loin du Bourget non plus, mais beaucoup plus discret.
Il y avait là un petit bar, où le gérant m’accueillit d’une manière étonnante : « normalement, c’est 2,50€ ! Mais pour les enfants de Dieu, ça fera 2€ ! ». Début d’un échange qui dura plus longtemps que prévu et auquel se joignit une petite famille de Belley, très sympathique.
Notre rencontre fut l’occasion de parler des moments où chacun avait vécu des expériences spirituelles fortes ; des choses qu’ils n’avaient semble-t-il, pas partagées auparavant… Mais il me fallait continuer encore un peu ma route.
J’arrivai peu après à côté de Culoz, où m’accueillit à nouveau un couple, qui me prêta la cabane du jardin pour la nuit. Le soleil se coucha rapidement, et moi avec lui. Deuxième jour !
Je partis très tôt le matin, mes hôtes dormaient encore – la paix soit sur leur maison.
La route était un peu plus difficile dès le début, où ça commençait à grimper.
Je m’arrêtai dans la jolie petite ville de Seyssel prendre un petit-déjeuner, avant de partir pour la montée vers Usinens : là on commence à sentir la montagne dans les jambes ! Au bord de la piste, les hommes faisaient la cueillette dans les plantations de fruitiers.
Quelques temps plus tard, en début d’après-midi, je passais Valleiry, puis arrivais à la frontière, à Chancy ; ça y est, c’était la Suisse !
Après une trentaine de kilomètres encore, je voyais la confluence de l’Arve et du Rhône, j’apercevais le jet d’eau, et enfin, les bords du Léman : Genève.
J’arrivai au couvent, à Cologny, vers 18h, pas mécontent de pouvoir prendre une douche.
Après les vêpres et après le repas, je décidai de rester le lendemain pour me reposer. J’en avais besoin… Troisième jour !
Ce jour de repos à Genève fut une bénédiction. J’ai pu en profiter notamment pour admirer la très belle église St-Paul, y prier longuement, et rencontrer un peu plus les frères qui étaient présents : papoter avec le frère Michel, entendre le frère Guy raconter sa mission au Rwanda, le frère Erik prêcher à la messe… Merci à tous, et merci particulier au frère Claude qui m’a bien dépanné aussi pour réparer le vélo. Grâce à vous, j’étais prêt pour ma dernière étape. Quatrième jour !
Je partais à l’aube, aux premières lueurs. L’objectif était Fribourg, soit environ 150km à faire en une journée. Alors il ne fallait pas traîner.
Le temps était bon, je retrouvais les bords du lac, et passai par le sud. Retour en France donc, en passant par Thonon-les-Bains, Evian, jusqu’à Saint-Gingolph, où j’arrivai en fin de matinée.
Au bout du lac, j’ai raté le virage à Port-Valais, et ai fait un détour pour arriver à Montreux, puis à Vevey… où la grande montée devait commencer. Alors je m’arrêtai d’abord pour manger. Je me suis assis au « bout du monde » – c’est le nom du bar.
Cela m’a rappelé mes cours sur le Proche-Orient ancien, où Gilgamesh arrive, vers la fin de sa quête, au « cabaret du bout du monde. » Mais je n’y ai pas rencontré Siduri prêchant sa sagesse toute humaine ; j’y ai rencontré « Fred », le gérant, passionné par les cultures d’Amérique latine, de Bolivie plus spécialement, d’art, de musique, et de justice aussi. Nous avons donc parlé de Bartolomé de las Casas… de calvinisme aussi, de prêtres motards… et même, de Jésus, au final ! Et puis hop, 14h30, il fallait repartir : au bout du monde, je n’étais pas encore au bout de ma route !
Maintenant il fallait monter vers Châtel-Saint-Denis. Après un passage dans les cantons de Genève, de Vaud, en Valais un peu aussi, j’arrivais dans celui de Fribourg.
En suivant la route principale qui allait vers Bulle, j’ai dû en fait remonter sur Romont, puis suivre de là la route cantonale qui passait par Villaz-Saint-Pierre, Chénens, Neyruz, Villars-sur Glâne, et finalement Fribourg.
Je remercie ceux qui m’ont indiqué le chemin, et un certain Dominique, qui priait son chapelet en pleine campagne quand je l’ai croisé pour lui demander par où passer.
Je suis arrivé Rue du Botzet (au couvent St-Hyacinthe) juste avant la nuit, après une journée épuisante, mais magnifique.
C’était samedi soir, les frères Emmanuel et Matthew m’ouvraient la porte, tandis que je refermais le livre du frère Camille… qui s’achève avec ces mots :
« Non que je sois déjà au but, ni déjà devenu parfait ; mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, ayant été saisi moi-même par le Christ Jésus. » (Ph 3)
Et voilà chers amis – à une prochaine rencontre alors – au couvent, ou ailleurs !
— frère Thomas Zimmermann

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