Conflits conciliaires : tradition et modernité
- Fr. Guy
Pierre Emonet SJ. Pedro Arrupe. Un réformateur dans la tourmente. Editions Lessius 2022, 255 pages.
Une rencontre fraternelle et amicale des Dominicains de Cologny/Genève avec la communauté jésuite de la Rue Jacques Dalphin à Carouge m’a permis de découvrir le dernier ouvrage du Père Pierre Emonet SJ. Un livre consacrée à son confrère jésuite Pedro Arrupe (1907 – 1991) qui fut pendant près de vingt ans Supérieur Général de la Compagnie de Jésus. Pierre Emonet, qui fut en Suisse provincial des Jésuites, est aussi le rédacteur apprécié d’autres biographies mettant en lumière des personnalités de sa Compagnie. Sa charge de provincial lui a permis de connaître de près l’histoire mouvementée et, pour tout 68 dire, conflictuelle du gouvernement de Pedro Arrupe. D’où cette biographie qui dépasse le cadre jésuite, tant la personnalité de Pedro Arrupe a marqué l’époque conciliaire et celle qui l’a suivie. Selon son biographe, le Père Arrupe fit entrer la Compagnie de Jésus dans l’ère post-moderne.
Le Père Arrupe ne laisse personne indifférent, tant est fascinante son approche de notre monde religieux et non religieux : « Témoin immédiat des grandes tragédies modernes, il n’a cessé de chercher des solutions pour aider efficacement les victimes des guerres, de l’injustice et des catastrophes naturelles. (Pensons à Hiroshima !) l’option préférentielle pour les pauvres, le service des réfugiés, la théologie de la libération, l’affirmation du lien entre foi et justice, le dialogue avec l’incroyance et le marxisme donnent le ton à son action. »
On comprend que ces objectifs ne valurent pas à celui qui les poursuivit et les réalisa que des applaudissements nourris. Pierre Emonet ne se prive pas de mentionner l’incompréhension, la méfiance et même l’hostilité des plus hauts responsables de l’Eglise de cette époque à l’endroit des initiatives réformatrices de Pedro Arrupe. Je ne soupçonnais ni ne mesurais la gravité et l’ampleur de ce conflit avant d’avoir lu ce livre. D’autant plus que Pedro Arrupe est décrit comme une personne avenante, communicative, pacifique et souriante. Surtout, il était animé par un souffle spirituel fondé sur l’amour indéfectible qui le liait à Jésus.
Ce livre de dimension modeste est divisé en courts chapitres qui correspondent à des moments décisifs de la vie et du supériorat de Pedro Arrupe. On s’arrêtera surtout au paragraphe intitulé : « incompris et mal-compris » où il est question de sa démission et d’une « congrégation générale » qui aurait dû pourvoir à son absence. Beaucoup ne souhaitaient pas voir accéder à cette charge importante un jésuite qui marcherait sur les pas d’Arrupe. Dans certains milieux prévalait cette devise : « un Basque fonda la Compagnie de Jésus ; un autre Basque fut son fossoyeur ».
Ce qui agaçait surtout ses adversaires était qu’Arrupe n’avait pas été appelé pour devenir un auxiliaire du clergé paroissial, mais un intervenant « ad mayorem Dei gloriam » dans les affaires du monde qui sont aussi les affaires de Dieu. Si je l’ai bien compris, le biographe partage ce point de vue.
Comment un Dominicain réagirait-il à une telle page d’histoire ? Aucun de nos Maîtres Généraux récents n’a connu, me semble-t-il, ce genre de conflits. Mais d’autres frères et pas des moindres, même des provinciaux, l’ont vécu dans leur zone d’influence. On pourrait évoquer la figure du Père Lacordaire, restaurateur de l’Ordre en France au 19 ème siècle qui fut aussi un champion des libertés nouvelles. Les conflits inévitables qui s’en suivirent ne dépassèrent pas les juridictions de deux provinces dominicaines françaises de ce temps : celle de Paris acquise aux idées de Lacordaire et celle de Lyon, dirigée par le Père Jandel nettement plus réticente, surtout quand il s’agissait d’assouplir la rigueur des observances monastiques dans le but de faciliter les relations des frères avec le monde extérieur. Un mouvement réformateur qui annonçait de loin celui qu’anima un siècle plus tard le jésuite Pedro Arrupe ? Bien sûr, le contexte et les enjeux sont différents. Je laisse aux historiens de notre Ordre – il en est d’excellents ! – le soin de déclarer inepte ou intéressante cette observation. Je leur fais confiance et me soumets à leur jugement.
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