Celui qui se lève au couchant
Mi 5, 1-4 / Ps 79 / He 10, 5-10 / Lc 1, 39-45
La Parole de Dieu – le Verbe incarné – nous tourne vers l'avenir. Voici, en peu de mots, la Bonne Nouvelle. Voici l'un des meilleurs résumés de ce qui s'accomplit en ces jours qui sont les derniers, qui d'ailleurs sont toujours les derniers... Voici la nouveauté radicale instaurée par le règne de Jésus-Christ sur nos cœurs et sur le monde : tout est retourné, converti au sens propre du terme. Par nature, l'homme cherche toujours dans le passé la raison de ce qui lui est donné de vivre ici et maintenant, la cause de ses colères ou de ses tourments, l'origine de ses joies ou de ses déconvenues.
Avec la venue du Christ, un nouvel ordre du monde est instauré. Bien sûr, il l'est de manière invisible : il y faut les yeux de la foi. Ce nouvel ordre du monde – bien plus fondamental que celui que certains rêvent d'instaurer – nous invite à nous tourner vers l'avenir, c'est-à-dire vers l'accomplissement des promesses, même si celui-ci n'est pas facilement perceptible. L'invitation est lancée et ils sont nombreux ceux qui ont choisi de regarder en direction de ce Sauveur qu'un psaume – dans la version latine de la Bible – annonce en ces termes :
« Cantate Deo psalmum dicite nomini eius; iter facite ei qui ascendit super occasum »,
« Chantez pour Dieu, récitez un psaume à son nom; frayez un chemin à celui qui se lève au couchant ».
Dans cette image, le Christ est "Celui qui se lève au couchant", c'est-à-dire au terme de l'histoire, à l'heure où il vient tout récapituler, en ces temps qui sont les derniers. Celui qui, à la fin, surgit victorieux de la mort, du royaume de tous ceux qui sont couchés dans les ténèbres.
Remarquons, au passage, que la même idée apparaît aussi dans l'islam. Abû Hurayrah relate : « Celui qui se repent avant que le soleil ne se lève au couchant, Allah accepte son repentir ». C'est un point de vue qui vaut la peine d'être examiné : il nous tourne vers le point final, vers la conclusion, vers la finalité de notre histoire ; nous entraînant à rebours du courant qui emporte le monde, lequel croit trouver, dans une constante exploration du passé, la clef d'interprétation dont il a tant besoin. Sempiternelle archéologie qui cherche au plus profond de la terre la source d'une clarté illusoire. Et c'est le cas aussi de la quête psychanalytique : là aussi, le plus profond est le plus ancien, mais aussi le plus résolument privé de lumière.
Car la réponse est au-devant de nous. Tirés de la boue, nous sommes promis à la lumière. Le monde est créé pour trouver son accomplissement dans cet immense estuaire où les eaux de tous les fleuves qui parcourent la terre communieront à l'Infini, en se jetant dans les bras de l'Océan. Oui, c'est en avant que nous trouverons une réponse à ce qui nous taraude, à ce qui nous échappe, à ce qui nous met en question.
« Malheur à celui qui, ayant mis la main à la charrue, se retourne pour regarder en arrière », nous avise Jésus (Lc 9, 62).
Peut-être pensez-vous que mon discours d'aujourd'hui est en contradiction avec ce que je vous disais, il y a deux semaines, au sujet de la nécessité d'orienter notre prière. En réalité, c'est sur le chemin de Compostelle que j'ai résolu cette contradiction, découvrant, au fil de la marche, que si le pèlerin doit effectivement se tourner vers l'Orient pour prier, c'est bien en direction de l'Occident qu'il se doit d'avancer. Action et contemplation ont chacune leur règle. On interrompt le cours du temps pour se tourner vers l'immuable, dont le soleil levant nous redit la présence ; mais ensuite, le chemin nous reprend et nous guide vers l'Occident.
Que la réponse à nos questions se trouve en allant de l'avant, c'est aussi ce que nous disent les lectures de ce quatrième dimanche de l'Avent. Et cela s'inaugure avec l'appel du prophète Michée, écrit plus de sept siècles avant l'incarnation de Notre Seigneur : « Et toi, Bethléem, petite entre les clans de Juda, de toi sortira Celui qui dominera sur Israël » (Mi 5, 2).
Bethléem, le plus insignifiant des clans de Juda, qui ne peut se prévaloir d'aucun passé glorieux, trouve sa gloire en se tournant vers l'avenir. Ce pour quoi ce petit coin de terre a été réservé, par la divine Providence, est un événement qui le place, tout à coup, en plein centre du monde. Tout commence là. C'est en vue de ce destin que ce village a existé depuis le début, et il en va de même pour chacun d'entre nous.
Nous pouvons feuilleter des jours durant les annales de notre pauvre histoire, nous n'y trouverons rien que de l'ordinaire, qu'une histoire chancelante qui ne s'extrait qu'avec peine de la boue de ses origines, ou qui cherche à se débarrasser des traces indésirables d'un passé qui l'encombre. Nous portons la charge de tant de générations et cela ralentit notre marche, entrave notre liberté. Faire le tri au milieu de tout cela nous prendrait des siècles et nous n'avons que peu de temps devant nous.
L'homme n'est pas seulement poussé par son instinct, par ses peurs ou par les contraintes de la vie ; l'homme n'est pas seulement poussé : il est aussi attiré, appelé. « Berger d'Israël écoute ! C'est toi qui viens au-devant de nous. Dieu de l'univers, appelle-nous encore ! ».
C'est toi qui donnes les clefs du Royaume et sans toi nous retomberons toujours en arrière, en direction de ce gouffre qui nous attire et se confond avec notre mémoire obscure. « Vite, réponds-moi, Seigneur ! Ne me cache pas ton visage : je serais de ceux qui tombent dans la fosse. » (Ps 142, 7).
Resplendis au-dessus des chérubins, au plus haut des cieux, oblige-nous à relever la tête, à diriger notre regard vers le ciel car, si ce qui est perdu aux profondeurs représente notre passé, ce qui siège dans les hauteurs nous indique un avenir radieux.
Le passé sans cesse nous requiert. Il nous maintient dans la logique de ces sacrifices d'autrefois dont tu n'as pas voulu. « Tu n'as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m'as formé un corps. Tu n'as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j'ai dit : voici je viens ! » (He 10, 8).
Je me tourne vers toi, je tourne le dos à ce qui me rappelle sans cesse en arrière. Foin de tout ce qui nous ramène aux vieilles peurs ancestrales. Le futur ouvre ses horizons et nous révèle, par toi, ses secrets : ce que les yeux de l'homme n'ont jamais vu ; ce que ses oreilles n'ont jamais entendu ; ce qui n'était jamais monté à son cœur empêtré (cf. 1 Co 2, 9).
Oui, tu m'as formé un corps. Ce corps est le temple nouveau d'où s'élève ma prière. Ce corps demande à se tourner vers toi en qui s'assouvira la totalité du désir, bien au-delà de ce que je puis imaginer.
Lorsque l'avenir vient illuminer mon regard, chassant au loin les ombres du passé, j'entends la voix de Celui qui vient faire toutes choses nouvelles. Le Christ supprime le premier état de choses pour établir le second, enseigne la Lettre aux Hébreux (He 10, 9).
Comme Marie, poussée par le vent de l'Esprit, j'abandonne tout projet passé et je prends le chemin d'une région montagneuse : ce pays où s'élève, plus haut que les monts, la montagne du Seigneur de la vie.
Ce village où elle se rend se nomme Ein Kerem, ce qui signifie "la source de la vigne". Il ne sera que la première étape d'un voyage qui la mènera jusqu'à Bethléem.
Bethléem signifie "la maison du pain". De la "source de la vigne" à la "maison du pain" : toute l'eucharistie était déjà préparée, avant même la naissance du Grand Prêtre et en vue de celle-ci.
Le banquet des Noces Éternelles est préparé. Et nous y sommes attendus !
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