Au rayon des romans évangéliques
- Fr. Guy
Christine Pellistrandi. Moi, Procla, femme de Ponce Pilate. Éditions du Cerf, 2024, 171 pages.
Un nouveau genre littéraire semble prendre pied dans les milieux chrétiens : la rédaction de récits ou carrément de romans inspirés par des personnages dont quelques noms et gestes figurent dans la Bible. Leur histoire imaginée ou recomposée est à l’usage d’un lectorat qui ignore le plus souvent le texte des Écritures. Il ne s’agit pas d’inventions, car les personnages de ces récits ont laissé quelques traces scripturaires, comme la femme de Ponce Pilate dont il est question dans ce livre. Elle intervient dans le récit de la passion de Jésus selon Matthieu, sans toutefois que n’apparaisse son nom. Sous la plume de Christine Pellistrandi, il devient Procla. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces récits ne sont pas des apocryphes. Ils ont même une finalité chrétienne. Porteurs de sens, ils se mettent au service de l’Évangile tel que leurs auteurs et autrices l’ont compris et voudraient le divulguer. À leur manière, évidemment, en amplifiant les données du texte biblique qui leur sert de base et les inspire. Leur but est de toucher les cœurs simples, éloignés de toute recherche de type universitaire ou académique. Leur objectif est de communiquer leur foi, souvent ingénue, même si elle ne respecte pas la lettre du « Credo » officiel élaboré par une institution ecclésiale reconnue. De là, le succès religieux et populaire indéniable de ces écrits d’accès facile auprès des demi-croyants qui foisonnent autour de nos chaires de vérité et de nos facultés de théologie, mais sans en comprendre le langage. Nous aurions tort cependant de les sous-estimer et de les mépriser. Ils sont la semence de l’Église de demain.
Ce blog a déjà recensé un monument de cette littérature : le « Jésus » de l’écrivaine belge Nathalie Nothomb. Le « Moi, Procla » de Pellistrandi n’a certainement pas l’envergure du « roman » de Nathalie Nothomb. Mais il est écrit par une chercheuse doublement spécialisée en littérature biblique et en histoire romaine. Ce qui lui permet d’asseoir son héroïne Procla sur des fondements vraisemblables et donc sérieux. Ce qu’elle dit des sentiments de Procla est conforme à la mentalité romaine du premier siècle de notre ère, même si les évangiles se taisent sur ce sujet. De plus, Christine Pellistrandi enseigne l’Écriture sainte au Collège des Bernardins de Paris. Une fonction qui met en lumière ses intentions chrétiennes et son réel talent littéraire, l’un et l’autre au service de l’Évangile.
Les toutes dernières pages du livre sont éloquentes. Les femmes en particulier y seront sensibles. Si Pilate, son mari, retourne sans état d’âme à ses affaires courantes, son épouse est libérée de la prison intérieure qui l’empêchait d’être elle-même. Le regard qu’elle a porté ce sinistre vendredi sur ce « juste » supplicié lui fait entrevoir pour toutes les endeuillées de ce jour un nouvel avenir.
Voici, pour terminer cette présentation, quelques mots que l’auteure met sur les lèvres de Procla ou dans son cœur de femme et d’épouse d’un procurateur romain :
« Procla savait qu’elle n’avait pas rêvé en vain. Ce songe qui l’avait tant inquiétée (…) elle le revivait comme une révélation, une illumination. (…) La mémoire de cette nuit de feu devenait le sanctuaire de son futur baptême. (…) Elle avait découvert grâce à toutes ses rencontres une religion nouvelle qui l’étonnait. Elle avait accepté d’écouter des gens très différents d’elle, (…) Les leçons des philosophes ne satisfaisaient pas sa raison : sommes-nous nés du hasard ? (…) Notre vie à peine éclose se dissipe-t-elle dans la brume chassée par le soleil ?
Elle veut devenir elle-même. C’est pourquoi elle marche sur le long chemin de la conversion, ce chemin dont parlait Jésus, celui qui dure toute une vie pour pouvoir s’approcher de la vérité. (…) Elle sait qu’elle a gagné sa vie intérieure. Elle a appris par bribes à découvrir qui était Jésus (…) compatissant et miséricordieux.
Elle avait désormais des amies qui se chargeraient de la soutenir et la faire grandir dans la foi. Elles se retrouveraient, prieraient ensemble (…) et formeraient une petite communauté intime de croyants qui se réconforteraient mutuellement, une première église secrète, une église des catacombes, invisible aux yeux du monde. »
J’ignore le chemin religieux et spirituel de l’auteure de ce livre. J’imagine qu’il doit être proche du rêve de Procla, marchant sur le chemin de sa conversion. Beaucoup de personnes qui ont vécu la même expérience progressent sur ce chemin. Elles n’ont pas rompu pour autant avec leurs activités ordinaires. Procla demeure l’épouse de Pilate et attend que les yeux de son mari s’ouvrent un jour à la lumière du Christ.
Ces nouvelles croyantes ont pris l’habitude de se retrouver en secret chez l’une d’entre elles au sein de communautés « domestiques » qui ne seraient ni des églises, ni des basiliques ou des cathédrales. Est-ce le rêve de l’auteure de ce livre ? Voir advenir une Église nouvelle, plus simple et plus fervente. Ou est-ce le rêve du recenseur ?
Kommentare und Antworten
Sei der Erste, der kommentiert