Ah ! Si tu déchirais les cieux ...
Lors des vêpres des dimanches de l'Avent, les frères étudiants du couvent St-Hyacinthe offriront des commentaires bibliques à la communauté, réunie dans la chapelle.
Hier était le premier dimanche de l'Avent.
Le frère Alexandre Frezzato de la province de Suisse, étudiant en Master à la faculté de théologie de l'Université de Fribourg, a partagé son commentaire sur un passage du livre du prophète Isaïe, qui a été la première lecture à la messe de dimanche matin (Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7) :
C’est toi, Seigneur, notre père ; "Notre-rédempteur- depuis- toujours", tel est ton nom. Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? Pourquoi laisser nos coeurs s’endurcir et ne plus te craindre ? Reviens, à cause de tes serviteurs, des tribus de ton héritage. Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face.
Voici que tu es descendu : les montagnes furent ébranlées devant ta face. Jamais on n’a entendu, jamais on n’a ouï dire, nul oeil n’a jamais vu un autre dieu que toi agir ainsi pour celui qui l’attend. Tu viens rencontrer celui qui pratique avec joie la justice, qui se souvient de toi en suivant tes chemins. Tu étais irrité, mais nous avons encore péché, et nous nous sommes égarés. Tous, nous étions comme des gens impurs, et tous nos actes justes n’étaient que linges souillés. Tous, nous étions desséchés comme des feuilles, et nos fautes, comme le vent, nous emportaient. Personne n’invoque plus ton nom, nul ne se réveille pour prendre appui sur toi. Car tu nous as caché ton visage, tu nous as livrés au pouvoir de nos fautes. Mais maintenant, Seigneur, c’est toi notre père. Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes : nous sommes tous l’ouvrage de ta main.
Nous sommes heureux de pouvoir partager avec nos lecteurs cette version écrite des réflexions du frère Alexandre.
Nous reviendrons les prochains dimanches de l'Avent avec les réflexions d'autres frères étudiants de notre communauté.
Un bon Avent à tous !
« Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais… Reviens, à cause de tes serviteurs ! ».
Pour cette nouvelle année liturgique qui commence, mes frères, nous entrons dans le temps de l’Avent avec ce cri d’espérance du prophète Isaïe ! Et plus que jamais, en cette année si particulière qui s’achève, et la nouvelle qui va commencer (et qui s’annonce aussi difficile à bien des égards), nous avons besoin d’espérer, d’attendre activement notre Rédempteur, de crier notre désir de salut.
Nous avons besoin de retrouver le sens d’une espérance proprement chrétienne.
Et je dis bien : une espérance chrétienne.
Parce que l’espoir du monde, l’espoir mondain qui anime certains de nos contemporains en cette période anxiogène, cet espoir-là n’est pas du même ordre que notre espérance chrétienne.
Et c’est sur cette distinction-là que je vous propose de méditer ce soir.
Il est en effet de notre devoir de bien faire la différence entre l’espérance chrétienne qui est caractéristique du temps de l’Avent, caractéristique de l’attente de la venue du Seigneur, et l’espoir que j’appelle « l’espoir du monde ».
Si nous confondons les deux, nous risquons d’espérer à la manière du monde.
Et qu’est-ce que ça signifie ? Espérer à la manière du monde signifie que nous allons très vite désespérer, parce que l’espoir du monde n’est pas suffisant et n’est pas satisfaisant. Au fil du temps, l’espoir mondain ne peut que muter en déception, lassitude et négativité, autrement dit, en désespoir.
Pourquoi ? Parce que l’espoir du monde est ambigu.
Les grecs de l’Antiquité avaient déjà parfaitement saisi cette fâcheuse ambivalence de l’espoir humain. Rappelez-vous, le mythe de Pandore. Dans ce mythe, la jarre (la boîte) de Pandore est ouverte et cela a pour conséquence que tous les maux de l’humanité sont répandus sur la terre en guise de punition : la vieillesse, la guerre, la misère, la folie, le vice, le travail, la maladie… Mais la jarre est refermée juste avant que l’espoir (l’elpis – ἐλπίς – grecque) n’en sorte.
Et bien, si nous regardons un peu autour de nous, si nous écoutons nos contemporains et les voix qui se lèvent en cette période de pandémie, j’ai l’impression que notre époque a réouvert la boîte de Pandore et que l’espoir en est finalement sorti pour se répandre dans le monde.
Mais alors comprenez-moi bien, l’espoir de la boîte de Pandore, c’est justement l’espoir du monde auquel il ne faut pas succomber. Cet espoir n’est pas du tout une bonne nouvelle. L’espoir de la jarre de Pandore est celui que les dieux ont gardé en réserve, car il est le pire des maux pour l’homme.
Cet espoir, l’elpis de la mythologie grecque, c’est celui des lendemains qui chantent, c’est un désir qui ne jouira jamais, c’est une attente qui sera éventuellement déçue, finalement c’est une angoisse de plus, une frustration potentielle... L’espoir du monde est de cet ordre-là ; il nous place dans l’expectative et il a toujours pour objet un inaccessible futur qui ne fait que pointer du doigt un manque actuel.
Si j’espère la santé, c’est parce que je suis malade… Si j’espère une situation heureuse, c’est probablement parce que je suis malheureux, etc.
Alors, est-ce que notre espérance à nous, chrétiens, est de cet ordre-là ? Est-ce que l’on va entrer dans l’Avent et attendre notre Rédempteur avec un espoir aussi incertain, ambigu et ruineux ?
Je crois que ce ne serait pas très sage… Et puis, ce serait tout simplement étranger à notre foi. Ce serait nous tromper nous-mêmes.
Notre espérance, celle du temps de l’Avent, elle n’est pas mondaine, elle n’est pas ambiguë, elle est chrétienne ! C’est celle qu’exprime Isaïe :
« Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais… » ! Si tu venais nous rejoindre et nous sauver !
Notre espérance, elle s’inscrit, certes, dans notre espoir humain et mondain, mais elle le transfigure et le solidifie.
Premièrement, parce que notre espérance ne vient pas de nous-mêmes, elle vient d’une promesse divine ! Elle est donc complètement étrangère à l’attente incertaine d’un futur plus ensoleillé…
Et cette espérance, nous la recevons dans la foi au Christ qui en a déjà manifesté le caractère certain ! En ce sens, notre espérance chrétienne abolit toute l’ambivalence dangereuse qui caractérisait l’espoir du mythe de Pandore, l’espoir du monde.
Deuxièmement, la raison de notre espérance, c’est Dieu lui-même : « Le Christ-Jésus notre espérance » (1 Tm 1,1) comme dit saint Paul. Et l’objet de notre espérance, c’est aussi Dieu lui-même, c’est le salut promis et obtenu dans le Fils et par le Fils.
C’est pour cela que nous l’attendons, « C’est pour cela que nous peinons et que nous luttons, parce que nous avons mis notre espoir dans le Dieu vivant, qui est sauveur de tous les hommes » (1 Tm 4,10), comme dit encore saint Paul.
Notre espérance chrétienne est donc très différente de l’espoir du monde. Elle est une confiance solide, une attente active et une certitude déjà offerte.
Alors mes frères, au vu de tous les chamboulements que nous devons traverser durant cette période, n’entrons pas dans ce temps de l’Avent à la manière du monde, ne nous donnons pas quotidiennement en pâture aux soucis du monde et aux faux-espoirs.
En un mot, ne désespérons pas !
Au contraire, consentons à une espérance proprement chrétienne, à une espérance sûre, indéfectible et confiante.
Une espérance communautaire, c’est-à-dire une espérance qui nous guide ensemble vers le Christ et qui nous y mène réellement un peu plus chaque jour.

Kommentare und Antworten
Sei der Erste, der kommentiert